Cours dispensé par Alexandre Piraux [1]
I. Introduction
Le présent texte vise à retracer, à mettre en perspective historique les différents modes de gestion de la chose publique et à en dégager les grands défis d’aujourd’hui et de demain.
Il peut sembler paradoxal dans un cours d’actualité d’évoquer des faits et pratiques et croyances remontant à plus de 5 mille ans. C’est pourtant nécessaire si on veut prendre du champ et du recul pour mettre la problématique des services publics en perspective de façon un peu intelligente et approfondie.
Dans la civilisation sumérienne (mésopotamienne) datant de -3.000 à 2.000 avant l’ère courante, le premier des services publics rendus par les dirigeants consiste dans la construction du système d’irrigation est évidemment une condition indispensable à la survie de l’ensemble de la communauté.
La corvée publique de l’entretien des digues des canaux fait partie des devoirs du paysan (on dirait « coproducteur » forcé du service public en langage contemporain) au même titre que la culture de ses champs. Les titulaires des hautes fonctions publiques sont souvent des prêtres puis des scribes, et les « agents publics », des paysans réquisitionnés pour la corvée publique (Toynbee, 1976).
De fait, à l’origine, les prêtres, plus que d’être des intermédiaires privilégiés avec les dieux, sont des fonctionnaires préposés aux pratiques sacrificielles [2] effectuées dans l’intérêt général de la communauté ou du groupe. Ils officient dans les premiers bâtiments publics de l’histoire que sont les sanctuaires situés dans les cités-Etats. Il y a donc une dimension sacrée (qui relève à mon sens de la part de dimension gratuite et non mesurable) dans l’exercice d’une fonction publique et cet aspect non négligeable subsiste aujourd’hui en lointain filigrane de l’action publique au regard de l’éthique publique.
Quelques siècles (voire millénaires) plus tard, dans la Chine impériale du 3ème siècle avant l’ère courante, les examens mandarinaux permettent d’entrer dans la bureaucratie de l’État, le premier des buts est de remplacer la transmission du pouvoir aristocratique par une transmission du pouvoir méritocratique.
Ce système fut institutionnalisé en 605 de l’ère courante. Il fut aboli en 1905. Ce mode de recrutement a donc existé continûment pendant 1.300 ans.
Les examens de recrutement durent entre 24 et 72 heures, et se passent dans des pièces séparées et isolées. Pour maintenir une objectivité dans la correction, les candidats sont identifiés par des nombres plutôt que par leur nom et les copies d’examens sont recopiées par une troisième personne avant d’être corrigées pour éviter que l’écriture du candidat ne soit reconnue.
La fraude aux examens, concours, épreuves est donc aussi vieille que le monde.
II. De la gestion autoritaire des administrations bureaucratiques au New Public management en passant par le management : un parcours du combattant
Prenons maintenant en considération le parcours de la gestion publique s’étendant de la simple administration autoritaire et impérieuse s’imposant aux administrés, en passant par l’Etat social fort visant les assujettis du monde du travail, puis à la managérialisation sublimant la figure du client pour en arriver au post-management public voulant plus s’adresser aux citoyens.
Chaque prototype d’organisation publique (sociétale) impacte le mode de gouvernance publique.
Avec l’émergence de la « démocratie » locale dont les germes sont apparus au XIVème siècle sur le continent avec le développement des libertés communales dans les villes, ont surgi les premiers services publics « prédémocratiques » (maison pour les nécessiteux, les malades). Un peu auparavant, l’Eglise avait fondé au nom de la Charité, les premiers hôpitaux (Hôtel-Dieu) pour les pauvres et les indigents.
On ne le sait guère, mais la gestion de la chose publique a été dès l’origine, et donc avant même la naissance de nos démocraties, une des sources historiques du management. Les méthodes de l’entreprise privée sont venues pour une bonne part du fonctionnement des grands appareils publics (arsenaux, manufactures, armées) (Hatchuel, A., « Les paradoxes du management public »).
II.1. Le XIXème siècle et la première moitié du XXème siècle
Dans nos systèmes démocratiques, le premier modèle qui émerge au 19ème siècle représente la démocratie parlementaire classique : la société délègue à des représentants le soin de décider. Dans ce modèle fondé sur l’autorité de quelques-uns, les clivages ne sont pas vraiment reconnus, aucun conflit majeur d’intérêt n’est censé diviser la société pensée comme unitaire. Dans ce premier modèle démocratique, les services publics sont administrés et visent des sujets obéissants.
La fonction de conseiller au sens moderne de consultant, naît à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, il est alors question d’ « ingénieurs en organisation » (hégémonie du modèle scientifique).
S’agissant d’« une pratique aussi ancienne que le monde » et comme on l’a vu à l’instant issue originairement, des modes d’organisation des grands appareils publics (ateliers ou armées), le terme de management est utilisé dans son acception économique pour la première fois aux États-Unis, par F. Taylor au début du XXème siècle. Cet ingénieur américain a, comme on le sait, formulé les principes généraux de l’organisation scientifique du travail reposant sur une analyse approfondie des activités, méthodes et pauses. Dès l’origine, la référence à la science s’est manifestée, comme pour consolider et consacrer les nouvelles pratiques.
Le néologisme technocracy est créé à cette époque pour désigner un système de gouvernement dans lequel les ressources publiques sont organisées et contrôlées par des experts pour le bien collectif (Rosavallon, 2008).
En Belgique occupée, durant la première guerre mondiale, les sociétés en guerre ont fonctionné en se conformant à une logique d’organisation planifiée. Le modèle militaire s’est épanoui dans les ateliers, comme dans les ministères (notamment en France) chargés de coordonner la production.
Aux Etats-Unis, il est question d’essayer d’instaurer une administration objective (le pouvoir objectif) pour lutter « contre la corruption et la captation partisane des services publics » [3] (Rosanvallon, 2008). Dans l’Europe de l’après-guerre (1914-1918), « c’est l’incompétence que l’on veut éradiquer » ce n’est pas la corruption. L’expertise et la rationalité sont donc érigées en valeurs démocratiques centrales.
Ce n’est que dans un second temps qu’un courant axé sur l’humain surgira également aux États-Unis suite à la crise économique de 1929. Le sociologue Mayo, avec ses collaborateurs de la Harvard Business School, intégreront l’importance des facteurs d’ambiance et les éléments relationnels à travers notamment les théories de la motivation, la plus connue étant la pyramide des besoins de Maslow (1943). Cette école sera appelée le « Mouvement des Relations Humaines ».
Durant la grande crise de 1929, le Président Roosevelt va se référer aux Fondations philanthropiques (Carnegie, Rockfeller) pour réformer l’administration présidentielle. Le Brain trust autour de Roosevelt est composé d’intellectuels brillants, des cadres intelligents des fondations, des idéalistes des foyers d’hébergements. Ces « professeurs » comme on les appelle, à l’époque, deviennent l’âme du New Deal. Comme leurs contemporains, ils doutent de l’honnêteté et de l’efficacité des milieux d’affaires. « Ce sont des croisés, par encore des technocrates » et ils défendent avant tout l’intérêt général.
1937. Dans un contexte de lutte contre le rexisme, le Premier ministre catholique Van Zeeland d’un gouvernement d’Union nationale propose au Roi la nomination d’un Commissaire royal à la réforme administrative, ce qui est une nouvelle formule rompant avec la méthode traditionnelle des collèges de consultants (François, 1999). La promulgation du statut Camu portant le nom du Commissaire royal à la réforme administrative de l’époque est un fait politique majeur. Il s’agit d’un statut général et unifié qui objective les recrutements via le Secrétariat Permanent de Recrutement (SPR), fonde la carrière sur le merit system et met en place les premières relations collectives du travail.
Les concours sont généralisés et la gestion des recrutements par une sorte de magistrature administrative indépendante, le SPR, empêche la politisation au stade initial de la carrière et garantit l’égalité d’accès des Belges aux emplois publics. On assiste à une introduction massive de diplômés de l’enseignement supérieur. Cela suscite d’ailleurs la méfiance du personnel en place qui se rendra compte par la suite que le statut leur apporte de nombreuses et sérieuses garanties.
La réforme Camu s’inspire à la fois des traditions du Service Civil britannique et de l’esprit de codification napoléonien.
En Belgique, le 2 octobre 1937 est donc une date symbolique qui représente la publication du statut des agents de l’Etat, véritable révolution qualitative qui consacre la professionnalisation des fonctionnaires, l’objectivation de leur recrutement, leur protection vis-à -vis des abus politiciens et dans la mesure du possible de leur carrière. Il est notable et caractéristique que cette grande réforme administrative intervient dans une période troublée, minée par les crises économiques et sociales, les affaires de corruption et le populisme rexiste.
II.2. L’après-seconde guerre : un âge d’or (la « belle époque » ?)
Alors que durant l’entre-deux-guerres (entre 1918 et 1940) des organismes dits parastataux s’étaient multipliés dans une série de secteurs liés à la reconstruction.
Le deuxième modèle de démocratie est celui de l’Etat social né principalement après-guerre en 1944. Il est aussi issu d’intenses et courageuses luttes sociales. Ce modèle est organisé autour d’un « conflit structurant majeur » qui est celui de la répartition des richesses et des ressources entre travailleurs et les propriétaires des moyens de production.
Mais il n’est pas certain que ce passé ait recelé une période sans ombres, dépourvu de tracas bureaucratique (formaliste) ou arbitraire.
Les programmes d’Etat-Providence mis au point sur les décombres encore fumants de l’Europe grièvement meurtrie, vont être mis en œuvre par un appareil d’Etat chargeant ses administrations centrales qui seront ensuite largement décentralisées, avec l’efflorescence des parastataux sociaux gérés paritairement (représentants des employeurs et des travailleurs). Dans le contexte d’une croissance économique très forte durant trente années, la mise en œuvre de ces programmes va donc consacrer l’hégémonie de la démocratie sociale. Il est vrai aussi dans un environnement de guerre froide et de polarisation de l’Europe divisée par un rideau de fer.
Les effets des mesures de sécurité sociale vont être centralisateurs en ce que les réformes vont impliquer et entraîner une sorte de « nationalisation » des services publics promus « bras armé de l’Etat » alors qu’avant-guerre les services publics locaux étaient prédominants. Parallèlement, on observe une « explosion bureaucratique », tant les organismes et structures publiques les plus diverses seront multipliées, voire créées sur mesure. Les effectifs publics vont aussi grimper et devenir un outil de lutte (contre-cyclique) contre le chômage.
Une hétérogénéité des statuts, des missions, des pratiques et des avantages vont compartimenter les divers organismes d’intérêt public.
Au sens littéral, des « barrières » seront juridiquement érigées dans les cadres organiques de l’institution, entre différents services pour empêcher toute interpénétration des cadres et de ce fait interdire à un agent de postuler un emploi vacant dans une autre direction.
1946. La création du Conseil d’Etat au sein du pouvoir exécutif mais indépendant en tant que juge naturel des actes de l’administration peut aussi être considérée comme un fait politique important, comme un signe de partage, de rééquilibrage des pouvoirs.
Dorénavant un acte de recrutement présumé illégal peut être soumis par une personne lésée à la censure d’un juge « indépendant, impartial et établi par la loi », selon l’expression de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Depuis sa reconnaissance constitutionnelle, la doctrine considère le Conseil d’Etat qui relève administrativement du ministère de l’Intérieur, comme étant une juridiction sui generis, c’est-à -dire atypique.
Il est remarquable que le Conseil d’Etat n’appartienne pas à l’Ordre judiciaire.
1948. Entrée en vigueur d’une procédure d’exception, le fameux article 18 introduit dans le statut de 1937 qui permet de nommer sans concours, moyennant arrêté délibéré en Conseil des Ministres, « des personnalités de haute valeur administrative, scientifique, technique ou artistique ».
Cette procédure d’exception a été âprement critiquée comme étant la voie royale de la politisation.
De 1948 à 1993, 87 demandes d’avis ont été introduites auprès du SPR qui avait été doté d’une fonction consultative. L’article 18 a été de moins en moins utilisé car trop visible et connoté. Il sera finalement abrogé en 2002.
Années 1960 : le management public et les méthodes rationnelles
La notion de management public s’installe à cette époque et va progressivement remplacer le concept classique d’administration publique, lui-même fondé sur le modèle d’une fonction publique à la française axée sur la notion d’Etat de droit, d’égalité de traitement des citoyens. Le management public s’appuie à nouveau sur la science et la raison (le rationnel) dans le souci de réaliser des économies.
En 1966, le Planning Programming Budgeting System (PPBS) est une nouvelle approche de la fonction budgétaire raisonnant en termes d’objectifs plutôt d’autorisations de moyens.
1973. La loi du 16 juillet 1973 dite du Pacte culturel reconnaît et légitime en son article 24 la répartition proportionnelle des emplois dans les conseils d’administration du secteur culturel (matière fédérale à l’époque) en fonction des diverses sensibilités politiques et philosophiques.
Le Pacte culturel deviendra le symbole de la légitimation d’une répartition idéologique des mandats publics dans une série d’instances consultatives ou de gestion. Son article 20, annulé en 2003 par la Cour d’arbitrage, institutionnalise le recrutement et la promotion de personnels « en tenant compte de la nécessité d’une répartition équilibrée des fonctions, attributions, et affectations entre les différentes tendances représentatives » [4].
1974. La loi du 19 décembre 1974 institutionnalise les procédures de négociation et de concertation entre les autorités et les organisations syndicales. Cette loi remplace les élections sociales organisées par le statut Camu, par un système de comptage des affiliés cotisants.
Un seuil de 10 % est fixé pour être reconnu comme organisation représentative dotée de prérogatives spécifiques (organisation des réunions dans les locaux, assistance aux concours comme observateur, bénéfice d’une prime syndicale pour les affiliés).
1979. Quatre ministères régionaux et communautaires sous l’autorité du Premier Ministre sont créés au sein du Gouvernement fédéral.
Suite aux chocs pétroliers des années 1970-80, le modèle de planification-type, le Planning-Programming-Budgeting-System appelé en France « Rationalisation des Choix Budgétaires » se poursuivra dans nos administrations publiques. Ensuite succédera le management par objectifs. Toutefois, ce dernier se focalisera trop sur des objectifs chiffrés, rigides et détaillés, en mettant de côté une vision du futur. Beaucoup de difficultés seront liées à la confusion quant aux objectifs, tant pour le contenu que pour la méthode de définition. Le problème était que la définition venait d’en haut, avec peu de consultation et de capacité d’appropriation par les personnels.
On notera aussi avec intérêt que le système de la normalisation (des matériaux, des produits, des procédures) qui est une technique visant à standardiser les différents éléments constructifs date de cette période.
II.3. Années 1980 : l’émergence du paradigme du NPM
Les origines intellectuelles du néolibéralisme sont les principes économiques mis en avant par la société du Mont Pèlerin, fondée en 1947 par Friedrich August von Hayek. Ce dernier a influencé Milton Friedman prix Nobel d’économie en 1976 (et charismatique leader de la Chicago School of Economics).
La première vague conservatrice est bien connue, c’est celle des Reaganomics et de Margaret Thatcher, à partir de 1981. Elle introduit le troisième modèle étatique qui veut réduire l’Etat à une « peau de chagrin ».
Une deuxième vague est dite sociale et libérale. Elle est initiée par Bill Clinton (Reinventing Government, market globalism), et peu de temps après par Tony Blair et sa fameuse et prétendue troisième voie dans les années 1990.
Le premier élément substantiel à souligner est que le NMP est appréhendé en termes de management générique (generic management) c’est-à -dire qu’il postule une similarité entre le management public et le management privé. Ses fondements doctrinaux indérogeables, incontournables consistent en la perception de l’utilisateur comme un client, en l’évaluation des performances essentiellement sous l’angle quantitatif économique et financier (celui des coûts à réduire cost killing et du value for money), et en l’accountability de tous les collaborateurs grâce à la traçabilité et à la mesure de leurs prestations. Il introduit aussi et stimule la concurrence entre les collaborateurs et entre les entités administratives. Ses instruments de référence incontournables sont les indicateurs de performance, le benchmarking, l’externalisation des prestations (outsourcing), l’individualisation des rémunérations via des primes liées aux résultats.
Sur le plan structurel et organisationnel :
Suite aux Directives européennes on assiste aussi , dans le courant des années 1990, à une démultiplication des autorités administratives indépendantes [5] (AAI) des organes de régulation aux missions hybrides et quasi juridictionnelles : Institut belge des Postes et des Télécommunications (IBPT) (1991), Centre pour l’égalité des Chances (1993), Commission de protection de la vie privée (1992), cellule de traitement des informations financières (1993), Commission d’accès aux documents administratifs (1994), Commission des jeux de hasard (1999), etc.. Pour satisfaire de nouveaux besoins ou pour réorganiser certains services, l’autorité privilégie [6] aussi la constitution de sociétés commerciales de droit public à finalité sociale en lieu et place des traditionnelles personnes morales de droit public instituées après la seconde guerre mondiale (Moden, 2008). Ainsi en est-il pour les sociétés suivantes : Astrid (radiocommunications de secours et de sécurité) (1998), la Coopération technique belge au développement CTB (1998), anciennement AGCD, Apetra (gestion de stocks obligatoires de produits pétroliers), le Palais des Beaux-Arts (1999), la loterie nationale (2002). Les raisons du recours à la forme commerciale déjà utilisée au XIXe siècle semblent très diversifiées : la débudgétisation pour respecter le système européen des comptes nationaux et régionaux appelé « SEC 95 », la simplification des processus de décision, le non-assujettissement à la comptabilité publique, la gestion contractuelle du personnel.
Cette décennie voit aussi naître de nouveaux métiers oeuvrant souvent en réseau et orientés vers la relation de services : les fonctionnaires chargés de l’information, les médiateurs (1994), les consultants publics (bureau ABC 1991), les fonctionnaires chargés de la simplification administrative (2000).
1999. Tout comme l’affaire Dutroux a été à l’origine de la réforme des polices, la crise de la dioxine a été un des facteurs facilitant et légitimant le big bang copernicien. Il s’agit aussi de satisfaire un citoyen exigeant plus de qualité au moindre coût et de rendre plus performant, par la voie des économies, un secteur public grevant, selon les organisations patronales et certains dirigeants politiques, les performances économiques. Tout cela s’inscrit dans un contexte où le concept de gouvernance promu par la Commission européenne s’est imposé partout en Europe. La gouvernance va entraîner un bouleversement de la notion d’action publique.
Dans la déclaration gouvernementale de juillet 1999, la modernisation de l’appareil de l’Etat est l’une des trois priorités absolues du gouvernement Verhofstadt-Onkelinx (VLD-PS). La réforme Copernic est initiée et bénéficie d’un engagement gouvernemental fort. Elle ambitionne de mettre en œuvre une nouvelle conception de la Gestion des Ressources Humaines. La fonction publique de carrière consacrée par le statut Camu est remplacée par une fonction publique d’emploi où l’agent peut être sélectionné pour occuper une fonction qui peut être élevée dans l’organigramme, sans vocation à l’avancement et pour une période prédéterminée (six ans). Le parcours administratif obligatoire (ancienneté minimale requise, examens de carrière le cas échéant) est supprimé dans certains cas et un candidat issu du secteur privé, sans aucune expérience au sein de l’administration publique mais possédant une expérience en management ou en encadrement d’au moins six ans ou de dix ans d’expérience utile, peut être désigné Président d’un ministère ou titulaire d’une fonction de management n-1 (c’est-à -dire une fonction directement inférieure à celle de président du service public fédéral) au sein d’un ministère rebaptisé Service Public Fédéral.
De nouvelles épreuves de sélection professionnelle sont organisées et le concours monument administratif dédié au principe de l’égalité constitutionnelle, est remplacé par la notion de sélection comparative caractérisée par le fait que le classement des lauréats n’est plus déterminant dans l’ordre des nominations.
Les nouvelles épreuves de sélection professionnelle pour les deux premières fonctions de management sont ouvertes à l’extérieur, l’objectif étant d’attirer des top managers privés au sein de l’administration fédérale [7]. Les épreuves destinées à sélectionner du personnel d’encadrement (P&O en charge de la gestion des ressources humaines, nouvelles technologies de l’information et de la communication ICT, Budget et Contrôle de Gestion et audit interne) et de management donnent lieu à un passage devant une Commission de sélection composée de quatre experts externes (un en management et un en RH, et deux pour les matières spécifiques) et deux experts internes issus d’un autre service public fédéral que celui pour lequel une procédure est organisée et exerçant des fonctions au moins équivalentes à la fonction de management à pourvoir. La description de fonction et le profil de compétence est dressé par le ministre concerné. Les candidats doivent avoir les compétences et les aptitudes relationnelles, d’organisation et de gestion fixées par la description de fonction et le profil de compétence.
Les nouvelles méthodes de sélection privilégient l’oralité rendant le contrôle juridictionnel par le Conseil d’Etat plus difficile. Elles sont précédées de tests informatisés mesurant les aptitudes de gestion et d’organisation ainsi que leur personnalité. L’épreuve orale consécutive porte sur un cas pratique ayant trait à la fonction de management à pourvoir.
Les résultats sont communiqués au ministre concerné qui reçoit les candidats pour un entretien complémentaire [8]. Le Conseil des ministres décide ensuite parmi les lauréats classés dans le meilleur groupe.
Le nouveau modèle de gestion des ressources humaines se veut plus individualisant (gestion plus individualisée des compétences en vue d’améliorer l’efficacité et la performance individuelle). Une frontière stratégique dans le développement de la carrière est instaurée : il y a dorénavant les agents statutaires « ordinaires » et les top managers. Mais quel que soit le statut de l’agent, l’accent est mis sur ses compétences techniques, fonctionnelles et comportementales.
La volonté de supprimer les cabinets ministériels et leur remplacement par des cellules stratégiques et des secrétariats personnels de ministre va subir divers avatars et se solder par un échec alors que le cabinet du ministre de la fonction publique rêvait de conseils stratégiques semblables aux conseils d’administration du secteur privé dans lesquels des administrateurs indépendants exercent un rôle important (Piraux, 2004). Le Ministre Van den Bossche (Spa) voulait que les consultants privés ou universitaires siégeant dans lesdits conseils jouent un rôle déterminant de définition, avec le ministre, de la stratégie politique. L’expérience fit long feu et les conseils stratégiques ont été supprimés en 2008 en tant qu’organe commun à tous les services publics fédéraux. Toutefois, selon certains observateurs ou acteurs [9], un des grands mérites de la réforme Copernic réside dans le fait qu’il s’est agi d’un Plan intégré (cycle complet de gestion). En fin de compte, les résultats de la réforme seront modérés mais l’état d’esprit a été changé et les nouvelles façons de faire ou de raisonner assimilées et intériorisées même inconsciemment.
2004-2014, l’après-Copernic peut être interprété au mieux comme une période de suivi, de percolation et d’assimilation d’une partie du big bang initié par le Ministre Van den Bossche et au pire comme une période d’attentisme imputable aux incertitudes institutionnelles et peut-être liée à l’attente de l’ arrivée massive de jeunes recrues, présumées plus en affinité avec les nouvelles pratiques et outils gestionnaires. Seules la mise en oeuvre de Business Process Reengineerings (rebaptisés entre temps projets d’amélioration) qui consistent en une redéfinition radicale des processus clés en vue de faire des progrès sur le plan des coûts, de la qualité, de la rapidité et de la convivialité, le déploiement d’une politique de diversité dans la sélection et la carrière des agents (handicapés, femmes [10], agents issus de l’immigration) ainsi que les mesures de compétence et formations certifiées semblent représenter des actions plus substantielles. Ces dernières ont été supprimées en 2013 et remplacées par un système liant l’évaluation des objectifs à atteindre au développement de la carrière pécuniaire.
La refonte du régime de mandat face à la diminution des candidatures et du nombre de candidats jugés aptes ainsi qu’en raison du manque de transparence du processus de sélection, est également en cours. Un projet d’arrêté royal a été approuvé en Conseil des Ministres du 31 janvier 2014. Il vise notamment à rendre accessible les fonctions de management N-2 et N-3 à des non-fonctionnaires. Ces candidats présentent une épreuve d’assessment informatisée adaptée au niveau de la fonction à pourvoir.
Face au phénomène général d’ « estompement de la norme », le thème de l’éthique et des valeurs s’impose comme un facteur de stimulation, de motivation des agents et en fin de compte comme outil de gestion. Il est intéressant à ce sujet de constater un chassé-croisé qui consiste à transposer les valeurs instrumentales de l’entreprise privée (concurrence, rendement) dans le secteur public et les valeurs éthiques des institutions publiques (la dimension altruiste, l’identification à une cause) dans le privé (Linhart, 2009).
Le Bureau d’éthique et de déontologie administrative créé significativement au sein du SPF Budget et contrôle de gestion (2006) a confectionné un cadre déontologique après avoir consulté divers partenaires administratifs (août 2007). Ce cadre met en avant la politique de gestion préventive de l’intégrité (la lutte contre la corruption mais également l’intégrité au sens le plus large de tout abus). Il resserre les conditions d’octroi et de contrôle des cumuls et met l’accent sur la notion de conflit d’intérêts. La question de la dénonciation des faits illégaux ou irréguliers constatés dans le cadre de l’exercice de la fonction est potentiellement la partie la plus sensible [11] a été tranchée par la loi du 15 septembre 2013 qui organise une procédure de dénonciation via le Collège des médiateurs.
Le contrat de concession était connu en droit romain mais la formule actuelle du Partenariat Public-Privé (PPP) est apparue à partir des années 2000. Elle s’inscrit dans le cadre des financements alternatifs voulus par de nombreux Etats européens désargentés qui souhaitent diminuer la pression fiscale tout en évitant d’accroître leur endettement. En avril 2004, la Commission européenne publie un livre vert sur les partenariats public-privé qui aboutit en 2005 à une Communication adressée par la Commission à diverses instances européennes en vue de garantir la transparence de la procédure dans le choix des partenaires privés et une concurrence loyale entre ces derniers. Mais il n’y a pas de définition unique du PPP au sens large qui recouvre des réalités juridiques et économiques diverses. Il est toutefois généralement admis que « le concept couvre toutes les formes d’association du secteur public et du secteur privé destinées à mettre en œuvre tout ou partie d’un service d’intérêt général. Il implique une relation à long terme ainsi qu’un partage des compétences, des coûts, des risques et des bénéfices entre les acteurs publics et privés. » (Moden, 2008). Schématiquement, on peut affirmer que les PPP adoptent soit la forme contractuelle d’un contrat de marché public de travaux, de services ou de concession de services publics, soit le modèle institutionnel de la société d’économie mixte (« véhicule spécialisé »). La Commission européenne dans sa communication de 2008 a défini les partenariats public privé institutionnels, comme : « une coopération entre partenaires publics et privés qui établissent une entité à capital mixte qui exécute des marchés publics et des concessions ».
Les Partenariats Public-Privé sont donc à la mode et interviennent après des années de sous-investissements de la part des pouvoirs publics.
En agissant de la sorte, l’Etat fait financer et échelonne ses investissements. L’Etat espère transférer la dette et les risques sur le partenaire privé ce qui reste à établir dans les faits. Les investissements colossaux du partenaire privé n’apparaissent naturellement pas dans les comptes de l’Etat [12]. Beaucoup de PPP ne concernent certes pas les matières fédérales. Ils sont mis en oeuvre pour la réalisation de grands projets d’infrastructures qui relèvent d’autres niveaux de pouvoir (ports, routes, énergie, télécommunications).
La technique du PPP a cependant été récemment utilisée au niveau fédéral par Infrabel [13] chargé depuis 2005 de la gestion de l’infrastructure ferroviaire. Une procédure [14] a été lancée en 2009 pour la conception, la construction, le financement et la maintenance de quatre établissements pénitentiaires via la conclusion de « contrats de service de mise à disposition » avec un consortium.
Il serait prématuré à ce stade de déterminer si ces montages apporteront une réelle valeur ajoutée comparativement avec les traditionnels marchés publics ou si des coûts cachés considérables ne risquent pas d’apparaître dans les années à venir. En revanche, il est certain que ces nouveaux modes de gestion en partenariat avec le secteur privé imposent à l’administration fédérale l’acquisition rapide en interne de nouvelles compétences très sophistiquées, tant pour choisir un candidat fiable et négocier avec lui un contrat équilibré, que pour le suivi des prestations. Les PPP rendent aussi compte de la tendance au décloisonnement organique de l’administration (c’est-à -dire l’autonomisation, le verzelfstandiging).
III. Actualité
III.1. La Nouvelle gouvernance Publique est-elle un modèle post-concurrentiel ? (vers une gestion plus citoyenne et collaborative)
La gestion ne peut être comme on l’a vu dissociée d’une vision de la société.
Les nouvelles réformes « de troisième génération » dites post-concurrentielles se caractérisent par un centrage sur des défis plus globaux de nature sociétale. Ces modèles alternatifs sont l’« Etat néo-wébérien », la Nouvelle Gouvernance publique, ou encore le Public Value Management axé sur la motivation intrinsèque des agents et donc la passion professionnelle. Ils se déclarent post-concurrentiels en accordant plus d’importance à la qualité et au réel service rendu au citoyen.
La notion alternative d’« État néo-wébérien », élaborée en 2004 par Pollitt et Bouckaert, dans leur ouvrage Public Management Reform, explique la logique des États qui connaissent la réforme « de la modernisation d’Europe continentale », par opposition à ceux qui connaissent la réforme « de la marchandisation ou privatisation de la gestion publique ».
Ce modèle se distingue de l’approche managériale en ce que les éléments wébériens de l’administration bureaucratique traditionnelle reposant sur la rationalité légale (abstraite et impersonnelle), la spécialisation et la division des tâches, cohabitent avec les éléments introduits par les réformes de modernisation. Il consiste en la création d’une culture professionnelle de la qualité publique et du service rendu, dans des dispositifs de large consultation ou de représentation directe des citoyens, dans la modernisation des lois pour les orienter plus vers la réalisation de résultats [15].
Un autre nouveau modèle possible est celui d’une « Nouvelle Gouvernance publique » [16], modèle qui prend en compte l’environnement politique et les processus particuliers de l’action publique qui ne sont qu’un « contexte » de contraintes (à éliminer ou à éviter) dans le NPM. Cette nouvelle approche qui est systémique s’efforce de combiner le modèle de l’administration publique classique avec le NPM dans une société où l’Etat n’est plus forcément l’acteur dominant.
Organisations aux formes hybrides, focalisation sur des valeurs sociales et managériales, collaboration inter-organisationnelle et co-production de services publics en réseau d’acteurs publics, privés ou d’ONG sont au cœur de la « Nouvelle Gouvernance publique » qui concerne surtout les Etats du Nord de l’Europe.
Dans la pratique, cela implique la mise en place d’un système intégré de pilotage de l’action publique reprenant toutes ses dimensions : la gestion des ressources humaines, la modernisation du système comptable, des procédures budgétaires, etc... Le concept d’évaluation centré dans le NPM sur les coûts et la performance financière se trouve ainsi élargi aux dimensions d’équité et de justice sociale.
Un remodelage des institutions politiques (renforcement du rôle du parlement) accompagnant ou guidant les processus de gouvernance fait aussi partie de ce nouveau paradigme plus ouvert aux comités d’usagers et aux acteurs intermédiaires de la société civile.
Mais on peut aussi se demander s’il n’y a pas une certaine professionnalisation du flou et à quel point ces nouveaux modèles hybrides de réformes ne sont pas le prolongement ou un élargissement de la vision de base marchande du NPM qui semble avoir été intériorisée. Sont-ils de réels modèles alternatifs ? Rien n’est certain à ce stade même s’ils apportent de réelles améliorations en termes qualitatifs et démocratiques.
III.2. Le défi des défis : la gestion numérique dans le cadre de la « fast administration »
Le défi de la gestion numérique concerne tous les secteurs de la société et se situe dans un contexte d’une accélération de l’accélération temporelle.
Le défi stratégiquement le plus important est la concrétisation de l’e-gov intégré. C’est ainsi que Fedict qui est le SPF s’occupant de l’informatisation des services publics fédéraux a été consacré fin 2012 comme intégrateur de services fédéraux. D’autres intégrateurs de services ont aussi été mise en place (IPSS, sécurité sociale, etc). Sa tâche est de simplifier et d’optimiser les échanges de données mutuels entre services publics participants.
En février 2014, 10 millions d’euros ont été dégagés pour la création d’un Centre belge de cybersécurité (CCB). Dix personnes dont deux personnels d’appui et huit experts feront partie du CCB et travailleront en réseau avec les autres organismes chargés de la question (Sûreté de l’Etat, renseignement militaires (SGRS), Cert.be, Computer Crime Unit, Institut Belge des Postes et des Télécommunications, etc…). Quinze entités publiques se partagent en effet la cybersécurité nationale et il n’existe pas de modèle belge, unifié et consensuel en la matière [17]. Le CCB est donc appelé à jouer un rôle « intégrateur ».
Sur le plan de la GRH, les agents sont amenés à pratiquer le e-travail, le travail flexible, le télé-travail, le travail nomade, quel que soit la terminologie employée, la problématique est la même : travailler où l’on veut, quand on veut, comme on veut. Cela peut donc être chez soi ou dans des centres satellites sub-régionaux regroupant les personnels de structures administratives différentes, et finalement n’importe où.
Au siège central, le dynamic office est promu dans les discours, comme un élément de progrès et d’amélioration des conditions de travail. Ce nouveau mode de travail implique qu’aucun poste de travail fixe n’est dorénavant attribué, les postes de travail sont partagés. Ce new way of working peut avoir pour effet secondaire de délier les liens sociaux réels (affectifs) entre collègues devenant de plus en plus épisodiques ou virtuels, et de renforcer un contrôle social anonyme.
L’augmentation de la productivité administrative grâce à la technologie numérique pose la question de la qualification des personnels devenus ou qui deviendront excédentaires. Une récente étude du cabinet Mac Kinsey sur les technologies dites de rupture qui vont changer la face du monde, prédit que 230 millions de travailleurs « intellectuels » vont être concernés par l’automatisation de la connaissance.
On cite comme exemple le scanner intelligent capable d’analyser et de synthétiser 570.000 documents juridiques en deux jours. Une telle augmentation de la productivité s’applique aussi à d’autres secteurs (e-learning, campus électronique, enseignements de masse ouverts en ligne (MOOC), première plate-forme à Standford en Californie maintenant à l’UCL, logiciel de correction dans l’enseignement, robotique avancée en chirurgie, surveillance des personnes, guichets automatiques dans les gares, etc…).
Il est aussi impératif de pallier l’épuisement de toutes les ressources vives des administrations publiques, en termes d’expertises techniques notamment informatiques. La réduction des services de l’Etat depuis 15 ans est continue et a atteint un tel seuil critique que beaucoup de services sont littéralement sinistrés.
III.3. La nouvelle relation politico-administrative
Ainsi qu’on l’a noté, dans le cadre de la réforme Copernic, la relation entre le politique et « son » administration est en voie de reconfiguration notamment via une « contractualisation » de la relation du top manager (plan de management et plan opérationnel du top manager soumis au ministre compétent). Le mandataire désigné adhère en effet à un quasi contrat d’objectifs à atteindre théoriquement « négocié » avec le ministre.
Il devra mettre en œuvre ce « contrat » dans un plan de management accompagné d’un plan opérationnel.
Ces plans servent de référence pour l’évaluation des fonctionnaires titulaires de fonctions de management. En contrepartie d’une plus grande responsabilisation des cadres dirigeants, la réforme avait prévu de modifier les règles en matière de contrôle administratif et budgétaire et de procéder à une refonte du contrôle de gestion ce qui n’a toujours pas eu lieu.
Le politique s’efforce donc de décentrer ses responsabilités vers les mandataires désignés pour une durée limitée tout en renforçant simultanément, son contrôle politique sur la haute fonction publique, par le biais de l’évaluation des performances « contractuellement » déterminées dès le départ, entre autres.
En même temps, « L’administration semble de plus en plus nouer des rapports étroits avec l’ensemble de ses terrains d’action dont elle n’a de cesse de se rapprocher. Elle … voit sa sphère d’action s’accroître considérablement. » (Vrancken, 2006). Parallèlement, comme on l’a dit plus haut, de plus en plus de structures sont déclarées indépendantes à l’égard du pouvoir exécutif (Commission de Régulation de l’Electricité et du Gaz (CREG), Autorité des Services et marchés financiers (FSMA), Commissariat Général aux Réfugiés et Apatrides (CGRA), Institut pour l’Egalité des femmes et des hommes ...) et relèvent d’autres instances.
Sur le plan de la politisation, les réseaux d’allégeance apparaissent plus ponctuels et « ne s’inscrivent plus nécessairement dans la durabilité ni la fidélisation ». « On n’entre plus en politique comme on entrait en religion. » (Vrancken, 2006). L’adhésion aux réformes repose apparemment moins directement sur des convictions ou sur l’ethos que sur des intérêts circonstanciels et des trajectoires professionnelles.
Au même moment où apparaît un nouveau clivage écologiste [18], qui se veut d’ailleurs hors clivages, les clivages partisans traditionnels perdent une partie de leur substance, en raison notamment de l’étroitesse de l’offre politique. La loyauté indéfectible à une appartenance à un groupe idéologique fait place à une logique plus contractuelle et fluide (De Munck, 2009). Le corollaire pour les acteurs administratifs est sans doute un plus grand pragmatisme et une facilité à changer de marquage politique.
Toutefois, la désignation à un mandat de Président d’un Service Public fédéral reste dans les faits largement dans l’orbite discrétionnaire des responsables politiques, en dépit du côté aléatoire et du résultat imprévisible des nouvelles épreuves professionnelles.
En ce qui concerne l’attribution d’autres mandats moins importants de management ou d’encadrement (n-1, n-2), l’affiliation politique joue un rôle moins important.
Pour ces emplois, les aptitudes de gestion et comportementales des candidats, tout comme leur adhésion idéologique à l’égard du New Public Management, est déterminante et dans beaucoup de situations, les considérations partisanes priment moins que la capacité d’engagement professionnel du candidat. Enfin, on observe que le rôle et les comportements des acteurs ont évolué parfois de façon paradoxale. Une plus grande implication et responsabilisation des hauts fonctionnaires sous mandat est voulue par le politique conjointement avec plus de contrôle sur les résultats obtenus, mais sans attribution de réels pouvoirs de décision en matière budgétaire et de gestion des ressources humaines. La ligne de partage des pouvoirs reste peu claire du fait que le politique rechigne à déléguer et l’administration n’a toujours pas de rôle significatif dans le processus de préparation stratégique et de conseil en politique publique qui reste l’apanage des cabinets politiques et des consultants privés.
IV. Conclusions :
Comme on l’a vu, la fonction publique s’est transformée par strates successives [19] sans que l’on puisse parler d’une politique de la fonction publique en tant qu’ « action réfléchie, prévisionnelle qui se définit à long terme des objectifs et essaie de les garder en vue dans l’action de courte durée. » (Molitor, 1974). A l’exception notable de la réforme Copernic marquée par un fort volontarisme politique, les politiques de réforme administrative n’ont bénéficié que de peu d’engagement gouvernemental, même s’il y a eu consensus sur l’impérativité de la modernisation administrative. Le travail des réformes a été un travail silencieux, permanent, discret avec peu de ruptures nettes. Des périodes de crise politique ou de tensions ont cependant catalysé et amplifié les réformes (le rexisme, la crise de la dioxine). Néanmoins seules la réforme Camu (modernisation juridique) la réforme dite Copernic (modernisation managériale) ont présenté une nette rupture conceptuelle et empirique.
Il est très intéressant de noter qu’un invariant dès l’origine des services à la collectivité, a toujours été qu’ils coûtaient trop chers et ce quelle que soit l’époque ou la région concernée (Albert 1er évoquait en 1919, la « nécessaire compression des dépenses de l’Etat »). En 1958, année de l’exposition universelle, la construction de la pharaonique Cité administrative de l’Etat fut justifiée par le fait, je cite qu’ « il convenait dès lors de réaliser un maximum de choses avec un minimum de moyens » les moyens financiers étant plutôt limités à l’époque [20]. Puis vint la crise pétrolière de 1973…
Tout se passe comme si tout ce qui revient à la communauté représentait par définition une charge trop onéreuse pour cette dernière.
Dans le journal de référence De tijd du 3 mai 2013 on peut lire en première page, que le CDV projette de mettre le statut des agents en extinction (uitdoven), tout comme le régime des pensions publiques. L’ACV régit par un neen le même jour.
Cet alignement du CDV sur les positions de l’open VLD et de la NVA, outre son aspect stratégique et intéressé dévoile l’émergence d’une nouvelle ligne politique dans la gestion des services publics. On voit dès lors mal comment la fonction publique régionale et communale flamande pourrait échapper à ce nouveau paradigme de la contractualisation des emplois publics.
Du côté francophone, un consensus est apparu au sein des partis politiques les plus représentatifs sur la nécessité de moderniser et de faciliter la gestion statutaire essentiellement dans ses éléments pécuniaires. Quant aux modalités pratiques de mise en œuvre, c’est une autre histoire, sous quelles formes : primes individuelles, collectives, évaluation qualitative ou quantitative entraînant ou non des conséquences financières, stimulation de la motivation intrinsèque ?
La crise des services publics est corrélée, et étroitement liée à la crise de la pensée de l’émancipation, et de l’émancipation sociale en général.
Certes des réformes sont urgentes et indispensables, comme au niveau fédéral, une refonte ou la fusion de certains services de contrôle ou d’inspection pour plus de cohérence et d’efficacité fonctionnelle. Cela passe donc par des réorganisations administratives intelligentes et des recherches d’innovation.
La bonne régulation administrative est devenue un facteur de compétitivité à part entière.
La nouvelle régulation met en évidence la « déspécification » de l’administration dans le sens où elle tend à être soumise aux mêmes exigences organisationnelles et pratiques, ainsi qu’aux mêmes objectifs que le secteur privé. Certains auteurs utiliseront l’expression de « normalisation » ou d’ « alignement » du secteur public sur le secteur privé (Vandermeulen, Hondeghem, 2000). Le discours copernicien considère que les modes de fonctionnement et les valeurs sont similaires au secteur privé et que seul le contenu du métier ou de la fonction fait sens. Il introduit aussi une nouvelle sémantique qui traduit une nette rupture dans l’approche des valeurs. De nos jours, le management implique la conversion à l’idée d’un monde professionnel, instable, provisoire, a-politique reposant sur une contractualisation précaire et révocable. Certaines dérives peuvent faire qu’un certain management ne consiste plus en l’accompagnement ou à la réalisation de projets mais se substitue au projet. Dans une certaine mesure, le but du management est le management. Le management devient le projet. En ce sens, on peut parler de « définalisation » de l’action publique. Faute d’orientations substantielles, l’objectif devient trop souvent purement managérial.
Tout cela n’est pas sans conséquence sur l’ethos professionnel de beaucoup de fonctionnaires qui s’identifiaient aux valeurs fondatrices de quasi gratuité, d’égalité de traitement, de désintéressement et de respect de la loi. Ces derniers ressentent ainsi une perte valorielle et un déni de leur identité collective. Selon certains commentateurs, il y aurait une fatigue généralisée des réformes (Ongaro, 2009) devenues permanentes et qui dès lors ne susciteraient plus qu’une adhésion mitigée et une croyance limitée.
Par ailleurs, le vieillissement démographique du personnel administratif (le papy boom) impose un renouvellement moyen des effectifs de 44% dans les dix ans à venir (OCDE, 2007). Ce renouvellement représente à la fois un défi et une occasion pour réaliser une politique de sélection de fonctionnaires moins généralistes, plus qualifiés, choisis sur la base des compétences acquises auparavant (CAA), la notion de diplôme passant au second plan au profit des aptitudes.
Dès à présent « la guerre des talents » semble lancée et l’Etat se veut un employeur attractif.
Dans la situation d’un Etat fédéral vidé de la moitié de sa substance et dans le contexte d’européanisation des politiques publiques, on est en droit de se demander si l’autorité publique restant fédérale disposera encore de marges de manœuvre suffisantes pour mener des politiques publiques déterminantes.
En dépit de tout cela, l’action publique fédérale doit, selon nous, adopter une position plus active que celle de garant de la stabilité en dernier recours (crises bancaires, sanitaires).
L’intervention de l’administration consiste aussi, à modeler le contenu pratique des politiques publiques (Vrancken, 2006), en écoutant, conseillant, coordonnant, rendant plus cohérent la diversité des organisations intermédiaires et à éclairer en fin de compte le décideur politique. Les services publics vont devoir continuer à se diversifier dans leurs formes, modes d’organisation et objectifs pour répondre aux attentes d’une société devenue de plus en plus complexe.
Il s’agit de promouvoir une nouvelle coopération, un nouveau pacte entre les pouvoirs publics, les associations de la société civile et les entreprises contre la démesure des marchés. Finalement, l’incessant cortège de réformes peut aussi être interprété comme une façon de pérenniser les organisations publiques.
Bibliographie
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De Munck, Les clivages à l’épreuve de la société, « Que reste-t-il des clivages en Belgique ? » La Revue nouvelle octobre 2009 p. 52-55.
Goldman, H., Politique mars-avril 2013.
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Kaspi, A ., Roosevelt, Fayard, 1988 citant Sitkoff, H., Fifty Years Later. The New Deal Evaluated, Philadelphie, Temple University Press, 1985.
Linhart, D., Travailler sans les autres, Coll. Non conforme, Seuil, 2009.
Lynn, L., What is a Neo-Weberian State ? 2008.
Moden, Les privatisations en Belgique, CRISP, 2008.
Molitor, A., L’administration de la Belgique, Bruxelles, CRISP, 1974.
Ongaro, 2008 intervention lors du colloque du CERAP « Les réformes vues d’en bas » du 14 mai 2009.
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Piraux, A. “Copernic, son imaginaire et ses pratiques” in Pyramides 2004.
Rosanvallon, P., La légitimité démocratique, impartialité, réflexivité, proximité, Seuil, 2008.
Steger, B., et Roy, Ravi K., Neolibealism a short introduction, Oxford University Press, 2008.
Toynbee, La grande aventure de l’humanité, Payot, 2005, (1976).
Vandermeulen, Hondeghem, “Perspectieven Voor Het Human Resource Management” in De Vlaamse Overheid, Brugge, Die Keure, 2000.
Vrancken, D., Les métamorphoses de l’administration, Labor, 2006.