Centre d’Etudes et de Recherches en Administration Publique

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Dans son texte liminaire intitulĂ© « de l’État dĂ©mocratique contraignant Ă  l’État dĂ©mocratique contraint », Alexandre Piraux relève que, si les articles sur la dĂ©mocratie sont plĂ©thore, la notion de contraintes est en dĂ©finitive un sujet peu Ă©tudiĂ© dans son ensemble. Or, considère l’auteur, alors que la dĂ©mocratie ne peut se concevoir sans la notion d’État, divers types de contraintes pèsent aujourd’hui sur l’action publique. Il est donc apparu utile au comitĂ© de rĂ©daction de Pyramides d’aborder cette thĂ©matique et d’identifier les contraintes les plus caractĂ©ristiques. Certaines sont nouvelles, d’autres se sont mĂ©tamorphosĂ©es ; elles Ă©manent aussi bien du haut (instances internationales), que du bas (pressions numĂ©rique et mĂ©diatique) ; elles peuvent ĂŞtre externes ou internes (les autocontraintes). L’État dĂ©mocratique est au moins triple dans ses significations possibles : une institution qui fonde, organise, oriente l’ordre politique ; un rapport social qui se dĂ©ploie tel un fournisseur de services relationnels, de care et de sĂ©curitĂ© physique ou sociale ; une valeur en ce qu’il a pour vertu de rassembler la population au nom de principes supĂ©rieurs. L’État moderne a Ă©tĂ© inventĂ© sur le continent europĂ©en et est historiquement liĂ© au concept de nation. Après s’être demandĂ© si l’État-nation – qui demeure pour beaucoup le mode d’organisation le plus lĂ©gitime – reste le cadre le plus appropriĂ© pour rĂ©pondre aux dĂ©fis de l’intĂ©gration Ă©conomique globale, Alexandre Piraux dresse une liste de contraintes qui affectent aujourd’hui l’État dĂ©mocratique : le surendettement public gĂ©nĂ©ralisĂ©, la pression des corps intermĂ©diaires et des lobbys surpuissants, l’hypermodernitĂ© numĂ©rique, la pression des marchĂ©s, l’accĂ©lĂ©ration temporelle. Dans un tel contexte « d’essoufflement dĂ©mocratique gĂ©nĂ©ralisĂ© », des propositions de rĂ©formes apparaissent, qui Ă©manent de milieux hĂ©tĂ©rogènes. Alexandre Piraux en examine quelques-unes qui lui semblent les plus significatives ou les plus polĂ©miques. La dĂ©mocratie du web, dont l’Islande a Ă©laborĂ© un modèle qui est prĂ©sentĂ© comme prĂ©curseur d’une dĂ©mocratie directe renouvelĂ©e, n’est pas sans dangers : la nouvelle dynamique mĂ©diatique surenchĂ©rit les informations et construit une dynamique des Ă©motions immĂ©diates ; un « populisme technologique peut s’imposer par la confusion du peuple souverain avec la masse indistincte de ceux qui font le plus de bruit ». Une autre voie explorĂ©e est le tirage au sort, inspirĂ© par l’AntiquitĂ© grecque et prĂ´nĂ© par des modernes tels Montesquieu et Rousseau. De nouvelles modalitĂ©s de tirage au sort sont envisagĂ©es, de façon Ă  ce que le « sort » ne soit plus une loterie mais un construit statistique, c’est-Ă  -dire un calcul scientifique pour mettre au point un ou plusieurs Ă©chantillons reprĂ©sentatifs, en vue d’un sondage. Toutefois, note Alexandre Piraux, avec un tel système de « domestication du hasard », on se trouve en prĂ©sence d’un modèle statique de reprĂ©sentation des citoyens qui vise Ă  reflĂ©ter et Ă  dĂ©crire la volontĂ© gĂ©nĂ©rale et non dans un modèle dynamique de reprĂ©sentation qui Ă©labore ou construit cette dernière. Or, poursuit l’auteur, la reprĂ©sentation est avant tout affaire de volontĂ© et les reprĂ©sentants sont une Ă©manation active du peuple et non son miroir ou son image. Une option radicalement diffĂ©rente se prĂ©sente Ă©galement : le retour d’une conception platonicienne de la dĂ©mocratie axĂ©e sur la mĂ©ritocratie en tant que l’oligarchie des meilleurs. Si, dans le modèle du hasard domestiquĂ©, la lĂ©gitimitĂ© rĂ©sulte du fait que les avis et les dĂ©libĂ©rations de qualitĂ© sont le fruit des règles procĂ©durales dĂ©libĂ©ratives, de la diversitĂ© sociale des mini-publics « tirĂ©s au sort » et de l’impartialitĂ© dans le sens oĂą les intĂ©rĂŞts personnels ou de carrière n’existent pas, dans la « mĂ©ritocratie », l’expertise, l’expĂ©rience et la performance prouvĂ©e des Ă©lus ou des cooptĂ©s fondent la lĂ©gitimitĂ© des dirigeants. Ce serait, explique Alexandre Piraux, le modèle d’une dĂ©mocratie performancielle, dĂ©politisĂ©e, qui serait la rĂ©sultante d’une stratĂ©gie consciente ou inconsciente d’élimination des discours concurrents mettant l’idĂ©ologie entre parenthèses. Dans sa conclusion, Alexandre Piraux estime que l’État ne peut ĂŞtre une institution absolutiste mais qu’il est une institution nĂ©cessaire et une prĂ©condition Ă  l’émergence et Ă  la mise en Ĺ“uvre des valeurs dĂ©mocratiques. Il prend donc la dĂ©fense « du Politique », qui reste Ă  ses yeux la façon la moins injuste de rĂ©aliser les arbitrages et de faire avancer la sociĂ©tĂ© dans le respect de la dignitĂ© de chacun.