Accueil du site - Revue Pyramides - Numéros parus - Pyramides n°13 - Egalité et laïcité dans les services publics - Introduction. L’administration face aux valeurs spirituelles, civiques et professionnelles. Alexandre Piraux

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Les cinq premières contributions du présent numéro traitent chacune à leur manière des valeurs, de leur hiérarchie, voire des conflits de valeurs orientant l’action administrative :

-  l’égalité de traitement,
-  la publicité et la clarté administrative,
-  la non-discrimination,
-  l’équité sociale,
-  la loyauté, l’obéissance, vertu indispensable dans la vie administrative, mais n’excluant pas le courage de résister aux ordres manifestement illégaux,
-  l’efficacité professionnelle, ….

Le fait religieux, un temps oublié, refait surface dans l’espace public européen, lui-même en pleine transformation. Pour les Etats comme pour l’Union européenne, le défi est de s’adapter aux changements du paysage religieux et spirituel qui a vu les particularismes se multiplier et l’islam accéder au statut de religion de masse.

C’est dans ce contexte que l’auteur de cette introduction présente, analyse et commente le rapport de la Commission des sages, chargée d’examiner le financement des cultes et des communautés philosophiques non confessionnelles. L’Etat central, dont les pouvoirs sont réduits depuis la régionalisation partielle du temporel des cultes par la loi du 13 juillet 2001, a en effet initié en 2005 un processus de réflexion sur les matières restées de sa compétence : la reconnaissance des cultes et le financement des traitements et pensions de leurs ministres.

Du rapport de la Commission rendu public le 7 novembre 2006, il résulte que les différents cultes et conceptions philosophiques reconnus reçoivent un traitement inégalitaire et peu clair par les pouvoirs publics.

L’article essaie également de mettre en lumière les enjeux de la régulation juridique du fait religieux et spirituel à travers une série d’interrogations essentielles sur le rôle des pouvoirs publics (Etat, régions, communautés, provinces, communes) dans la reconnaissance, l’organisation ainsi que l’octroi d’avantages matériels aux cultes reconnus. La nature de la laïcité belge, qui est généralement qualifiée de pluralisme philosophique actif, est aussi questionnée tout comme la notion de culte, en tant que service public aidant moralement les citoyens.

Enfin, le fait que l’autorité publique soutienne certains cultes et spiritualités entraîne un contrôle de l’octroi et de l’utilisation des subsides et amène aussi à s’interroger sur le respect de la sphère d’autonomie de chaque pouvoir.

A la fin de l’article, une liste de mots-clés permettra aux lecteurs non spécialistes de s’orienter ou d’approfondir certains points.

L’article de JP NASSAUX relate les moments forts d’un colloque sur le communautarisme, tenu au Sénat français en novembre 2006.

Cette contribution recense, par la même occasion, l’ouvrage engagé de J LANDFRIED, Directeur de l’Observatoire du communautarisme, s’intitulant « Contre le communautarisme », publié en prolongement du colloque.

Ce dernier interroge la pérennité des institutions publiques face aux revendications communautaristes, aux politiques de discrimination et aux atteintes au principe de laïcité.

La montée en force des communautarismes, note JP NASSAUX, est l’un des problèmes du service public qui se trouve confronté à une pression croissante des demandes de groupes particuliers.

Le communautarisme d’après J LANDFRIED « ne peut déboucher, au nom d’un droit à la différence qu’à la différence des droits ».

Par ailleurs, la discrimination positive instrumentalisée par l’approche communautariste resterait une discrimination et serait donc pour ses adversaires « l’une des plaies caractéristiques de notre époque confuse ».

Selon un intervenant du colloque, une discrimination n’est pas positive ou négative, « elle discrimine c’est tout ». La discrimination est négative pour ceux qui n’en bénéficient pas. A la discrimination même positive qui reste liée à l’individu, on préfèrera la mise en oeuvre de politiques publiques orientant les efforts de l’Etat vers des zones géographiques ou vers des populations qui en ont le plus besoin. Il ressort de tout cela que les services publics sont tenus de gérer une tension nouvelle, entre l’aspiration universaliste des citoyens et la reconnaissance de leur diversité.

La contribution pose aussi la question de savoir si la montée des communautarismes n’induit pas une conception de la laïcité plus ouverte et souple. Mais existe-t-il plusieurs versions de la laïcité se demande un participant au colloque, qui refuse la vision d’intellectuels français voulant la restauration d’un statut de droit public pour les religions ?

Dans la rubrique « Rencontre », J.-F. HUSSON, Secrétaire général du Centre Interuniversitaire de Formation Permanente (CIFoP), Coordinateur de l’ORACLE (Observatoire des Relations Administratives entre les Cultes, la Laïcité Organisée de l’Etat), répond à une série de questions sur les relations entre l’Etat et la spiritualité, les droits de l’Homme et l’administration. Le contributeur, qui a aussi été Membre de la Commission chargée de l’examen du statut des ministres des cultes reconnus et des délégués du Conseil central laïque, se demande si on ne peut structurer la reconnaissance des cultes et de la laïcité en trois niveaux :

-  les courants historiques (cultes catholique, protestant, israélite et anglican et laïcité organisée) ;
-  les religions « immigrées (islam et orthodoxie) ;
-  les religions ou philosophies « mondiales » (bouddhisme et hindouisme).

Il constate que le système qui « reposait sur une église catholique puissante, un courant d’opposition libre-penseur et des cultes minoritaires discrets, a de fait, cédé la place à une mosaïque (de religions NDLR) ».

A la question de savoir si la laïcité organisée ne se profile pas de plus en plus comme un septième culte, l’auteur considère : « A partir du moment où le mouvement laïque a fait le choix de réclamer une reconnaissance et un financement s’inscrivant dans le même cadre que celui des cultes, il est devenu de facto un des sept courants religieux et philosophique reconnus en Belgique ».

J.-F. HUSSON pense aussi qu’il convient de « réévaluer les critères de représentativité et de la répartition du financement public », comme l’a d’ailleurs mentionné la Commission « des Sages » dont il a fait partie. J.-F. HUSSON est surpris de constater que la proposition de la Commission des « sages » de recourir à une enquête scientifique confiée à un consortium de centres d’études compétents pour déterminer la représentativité de chaque culte ou système philosophique, n’ait pas été accueillie avec enthousiasme, aussi bien du côté laïque que du côté des cultes reconnus.

J CAMPION, doctorant en histoire et aspirant FNRS, se penche sur l’éthos professionnel et les valeurs collectives de la gendarmerie, institution hybride à la fois administrative et militaire durant la deuxième guerre mondiale. L’auteur analyse le conflit entre les valeurs professionnelles (l’efficacité et l’obéissance stricte aux ordres reçus) et les valeurs civiques, « le devoir patriotique ». L’épuration administrative au sein de la gendarmerie est une manière de restaurer sa légitimité sociale, ainsi que celle des autorités. Comme le souligne l’auteur, l’épuration interne, administrative d’abord, puis judiciaire, « participe à une redéfinition des concepts de légitimité et de légalité des instances administratives ».

J CAMPION retrace ensuite l’évolution des structures et procédures épuratoires entre 1944 et 1947, et note leur judiciarisation croissante.

J PAQUETTE, qui est Professeur à l’Université Laurentienne (Canada), s’intéresse à la trop méconnue tradition anglo-saxonne d’engagement des écoles de pensée en administration publique.
Bien souvent, l’administration publique est associée à une conception très étroite, limitée aux enjeux opérationnels de la gestion qui doit être efficace et efficiente. L’auteur examine les trois temps d’une administration publique engagée, dans la critique sociale et intellectuelle.

Tout d’abord, l’auteur aborde le mouvement de la Fabian Society (de 1884 à 1920 environ). La Fabian Society, de mouvance socialiste et pragmatiste, fut favorable à une administration publique engagée, préoccupée par les politiques publiques, en particulier sociales, la propriété collective et l’emploi.

Un autre courant surgit à la fin des années 1960, dans un contexte de fortes tensions sociales. Le père philosophique de cette école de pensée Dwight Waldo considérait qu’il était impérieux que l’administration publique se soucie des enjeux d’équité sociale, de démocratie et de représentativité. La nouvelle administration publique s’est construite en opposition au courant de 1930, dit des « principes d’administration ».

Dans son célèbre ouvrage « The Administrative State » (1948), Waldo développe la thèse selon laquelle « l’efficacité n’est pas la finalité de l’administration publique, mais bien un des moyens pour arriver à une administration qui soit plus démocratique, représentative et qui s’arrimerait parfaitement au système de valeurs de la société. »

Il faudra attendre la fin des années 1960 pour que cette façon de penser fasse son chemin car dans les années 1950, ce furent Simon et les behavioristes qui l’emportèrent.

La décennie de 1980 sera marquée par les changements, les coupures budgétaires et les réformes administratives qui célèbreront, comme on le sait, les approches managérialistes, réduisant l’administration publique à une organisation privée, gérable selon des formules universelles.

J PAQUETTE termine par le concept de gouvernance, qui a fait l’objet de tant de malentendus ou d’abus de langage. Certains auteurs actuels envisagent la gouvernance comme un projet de démocratie post-libérale. En conclusion, l’auteur perçoit « un dialogue, une communauté de parole qui poursuit et achève les réflexions initiées par les générations de chercheurs précédentes. » En ce sens, « il s’agit bel et bien d’une seule et même tradition d’engagement ».

Dans un autre domaine, moins directement lié aux valeurs, la contribution de A DRUMAUX, Professeur à la Solvay Business School et de C GOETHALS, Coordinateur scientifique du programme PUMP (Public Management Programme) auprès de la même institution, dresse un bilan de la réforme Copernic sous l’angle de la gestion stratégique.

La réforme copernicienne a en effet imposé aux hauts fonctionnaires issus des nouvelles épreuves de sélection professionnelle, la mise en œuvre d’outils stratégiques (les plans stratégiques et opérationnels).

L’article établit une typologie des plans de management et des intentions stratégiques dans l’administration fédérale belge, analyse l’articulation entre niveaux politique et administratif et entre niveaux administratifs. Le texte présente également des hypothèses de comportement, efficaces pour les hauts fonctionnaires. Selon les auteurs, « les standards de comportement des hauts fonctionnaires résultent avant tout plus des contraintes du secteur que de la référence à un standard normatif issu du secteur privé ».

L’exercice stratégique imposé et mené par les hauts fonctionnaires fédéraux vise aussi à rencontrer les attentes du public, et de la sorte à contrecarrer la crise de légitimité de l’administration publique. Toutefois, l’analyse des interviews des fonctionnaires dirigeants ne fait que peu apparaître cette prise en compte du citoyen.

L’enquête précitée (menée auprès des top managers) fait ressortir que le politique reste toujours une « source majeure d’incertitude » et que « la connaissance fine du terrain politique et une certaine flexibilité sont des compétences nécessaires pour manager la discontinuité qui est le propre du contexte de l’action publique. »

Les politiques publiques locales de proximité et les stratégies de communication électronique dans les villes françaises de plus de 5.000 habitants sont examinées par J DEWOGHELAERE et C PREMAT.
Les chercheurs à l’Institut d’Etudes Politiques (IEP) de Bordeaux partent de la constatation que la stratégie de communication numérique des élus est devenue une contrainte, sous peine de sanction électorale, mais est aussi une ressource en tant qu’outil de démocratie participative.

Les auteurs, qui ont regroupé les types de facteurs favorisant le recours à cette politique spécifique de communication, ont retenu deux variables : la socialisation politique de l’élu (ancienneté en politique, âge, genre, …) et la configuration territoriale de l’élu (département rural, urbain, intercommunalité).

Dans un pays qui a augmenté le nombre de fonctionnaires territoriaux chargés de la communication, la stratégie des élus qui développent des espaces interactifs numériques, traduit la tentative de promouvoir un nouveau mode de fonctionnement politique. Toutefois les auteurs sont d’avis que s’il est incontestable que la norme participative en tant que bien politique se diffuse dans le champ de la politique locale, il est moins sûr que « cela induise de réels changements dans la façon de faire de la politique ».

C DASSONVILLE, en sa qualité de Haut fonctionnaire à l’administration générale de l’Infrastructure de la Communauté française, est autant un acteur qu’un témoin privilégié de la nouvelle politique publique architecturale de la Communauté française. C DASSONVILLE s’appuie sur une résolution du Conseil des Ministres de la Culture de l’UE sur la qualité architecturale en février 2001, pour considérer que l’architecture s’est réappropriée une place au sein des politiques publiques, et en particulier dans le champ de la politique culturelle. L’architecture qui appartient à l’univers des valeurs collectives n’est-il pas en effet le premier témoin de l’histoire des peuples ?

L’auteur, qui a contribué en 2004 au Livre blanc sur l’architecture contemporain, « Qui a peur de l’architecture ? », estime que les pouvoirs publics, en tant que maître d’ouvrage éclairé, ne sont pas dispensés « de conserver toute l’autorité que requiert la sauvegarde des missions de service public et de veiller à leur traduction dans l’espace public », et ce même s’il sont tenus par de strictes normes financières .

A cet égard, l’organisation de concours et la mise en place de jurys composés de personnalités incontestables du monde de l’architecture et de l’enseignement, garantissent l’encadrement professionnel et l’expertise voulue pour une création architecturale véhiculant le sens et les valeurs choisies par le maître d’ouvrage public.