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Accueil du site - Lu et vu 2 - Agrégation : les philosophes recalent l’épreuve d’éthique

Article paru dans le quotidien Libération le 16 juin 2010

Ce document n’est pas reproductible sans l’accord de Libération

Il est rare qu’un jury d’agrégation, le concours phare de l’enseignement, parte en campagne. C’est pourtant ce qui arrive aujourd’hui : près de la moitié des membres du jury de philosophie sont prêts à démissionner (lire ici), car ils refusent de faire passer, l’an prochain, une nouvelle épreuve appelée « Agir en fonctionnaire de l’Etat et de façon éthique et responsable ». Le jury de lettres modernes s’est lui aussi déclaré hostile. Retour sur une polémique qui enfle.

Une épreuve pas si nouvelle que ça

Un arrêté du 19 décembre 2006 a défini les dix compétences que doivent acquérir les enseignants lors de leur formation. La première est : « Agir en fonctionnaire de l’Etat… » A ce titre, depuis 2007, les candidats à certains concours - celui de professeur des écoles, les Capes d’histoire-géo ou de sciences économiques et sociales (SES) - sont interrogés sur cette compétence. On ignore pourquoi tous les concours ne sont pas concernés. Mais personne n’y trouvait à redire car il s’agissait avant tout de vérifier les connaissances du système éducatif, du statut de fonctionnaire, etc. Le candidat était interrogé dix petites minutes à la fin d’une épreuve orale.

A partir de 2011, l’épreuve « Agir en fonctionnaire de l’Etat et de façon éthique et responsable » sera introduite dans tous les Capes et toutes les agrégations. D’une durée de vingt minutes - dix minutes de préparation, autant d’entretien avec le jury -, elle sera notée sur 6 points (sur 20 au total) au Capes et sur 4 à l’agrégation. Un zéro sera éliminatoire. Au vu des sujets diffusés par le ministère, les candidats pourront être interrogés sur la scolarisation d’un enfant handicapé ou sur l’attitude à avoir devant un élève insolent.

Un prof doit se comporter en fonctionnaire responsable

Le ministère de l’Education, mais aussi certains syndicats plutôt favorables à l’épreuve, estiment qu’il est tout à fait légitime d’évaluer les futurs profs sur leur éthique et leur sens des responsabilités. S’ils sont reçus, ils deviendront fonctionnaires. De plus, enseigner n’est pas un métier comme un autre. D’autres professions de la fonction publique - policiers, gardiens de prison, juges - passent déjà ce type d’épreuve. Le problème est qu’avec la réforme, les candidats n’ont presque plus de formation professionnelle et de stages. Du coup, ils vont être interrogés sur des situations qu’ils n’ont pas connues et des questions qu’ils ne se sont jamais posées, faute d’y avoir été confrontés. Plutôt que de réfléchir, ils se retrouveront réduits à chercher la « bonne » réponse attendue par le jury. Le Sgen-CFDT, qui défendait l’épreuve, la trouve aujourd’hui vidée de son sens.

Peut-on juger l’éthique en dix minutes ?

Ce n’est pas un hasard si les philosophes et, dans une moindre mesure, les enseignants de lettres - les humanités - ont pris la tête de la rébellion : l’éthique et la responsabilité sont au cœur de leur discipline. Le fait qu’il s’agisse de jurys d’agrégation s’explique aussi : les agrégés défendent un haut niveau de formation disciplinaire et mettent au second plan la dimension professionnelle. Ils ne sont toutefois pas contre le fait d’interroger les futurs profs sur des règlements qu’ils doivent connaître. Mais pour eux, il y a confusion, car on demande aussi au jury d’évaluer l’éthique du candidat. Or face à des questions comme les finalités de l’école ou comment assurer la discipline, les réponses renvoient à des convictions, à des expériences, et sont même souvent affaire de conscience. Sur la laïcité par exemple, il y a des positions diamétralement opposées et parfaitement défendables. Tout dépendra alors du jury, s’il a lui-même une position commune.