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Dans la continuité du précédent volume de Pyramides consacré aux « réformes de l’administration vues d’en bas » et en droite ligne du colloque du même nom organisé par le Cerap, le présent numéro tente à nouveau d’explorer les différentes dimensions des réformes par le bas. Ainsi, plutôt que de proposer des numéros à forte consonance thématique, l’option choisie est de présenter aux lecteurs une sélection d’articles caractérisés par leur diversité de contenu mais, en réalité, reliés entre eux par des dynamiques transversales aux secteurs ou aux phénomènes observés. Ainsi, dans ce volume, des domaines aussi différents que la justice, la santé publique, l’enseignement, la culture ou encore le tourisme et la gestion environnementale trouvent des points de convergence lorsqu’il s’agit d’analyser l’évolution des identités et subjectivités des agents de l’Etat, le caractère ancré de l’action publique, la qualité ou les nouveaux métiers de l’administration.

L’influence des processus de modernisation des administrations – par exemple à grand renfort de principes managériaux à vocation universelle – sur les identités professionnelles reste à nuancer mais semble toutefois confirmée par de nombreux observateurs. Les articles de Laurence Cambon-Bessières et d’Hervé Hudebine viennent à leur tour renforcer les constats posés à ce sujet.

Dans son article, Laurence Cambon-Bessieres (« Innovation pédagogique et déstabilisation identitaire des formateurs de l’administration pénitentiaire ») nous montre comment la mise en place d’un nouveau modèle de formation par la simulation de situations concrètes bouleverse les modalités d’échange avec les apprenants et les repères identitaires des formateurs. Dans le domaine de la lutte contre la toxicomanie en Grande-Bretagne, Hervé Hudebine (« L’impact des réformes administratives des conservateurs britanniques sur la subjectivité des agents publics locaux ») pose un constat similaire quant à l’influence d’une réforme managériale sur la subjectivité des agents locaux. Malgré des pratiques de détournement des nouvelles procédures inspirées du New Public Management (procédures d’évaluation, appels d’offre compétitifs, …), destinées à sauvegarder leur conception du métier, les agents concernés connaissent une érosion de leur conviction.

En contrepoint à ces constats, il faut introduire les observations posées par Déborah Flusin-Fleury (« Les enjeux des frontières professionnelles et la modernisation de la justice en France : l’exemple de la réforme des tribunaux de commerce dans les années 2000 ») dans le cas de la modernisation des tribunaux de commerce. Retraçant l’histoire récente d’une lutte opposant profanes et professionnels du droit pour le maintien de son autonomie, l’auteur nous montre comment les acteurs du tribunal ont refusé l’introduction d’un outil extérieur et développé le choix d’une réforme en interne, conduisant à un statu quo.

En filigrane, c’est en tout cas la question de l’efficience de ces innovations qui émerge. Autrement dit, les évolutions, sinon les révolutions, proposées au nom de la modernisation du secteur public sont-elles à la hauteur de ce qu’elles prétendent améliorer ?

En prenant le cas de l’activation des chômeurs à la recherche d’un emploi, Michael Lebrun (« Bilan mitigé de l’activation du comportement de recherche d’emploi ») nous offre une analyse des statistiques disponibles en la matière et relativise les succès du dispositif. Et l’auteur de conclure et de se positionner : la mise en place de ce dernier constitue une régression du droit social. Cette question de l’efficacité est également au centre de l’article de Cédric Frétigné (« La régulation locale des réformes de la formation professionnelle en France. L’exemple d’un organisme de formation francilien »). Etudiant un domaine connexe, celui de la formation et de l’insertion de demandeurs d’emploi, l’auteur observe que les évolutions ont conduit à fragiliser le milieu et à bouleverser les équilibres entre logiques sociales et logiques économiques.

Toutefois, les instruments de gestion ou tout autre dispositif d’action publique peuvent, et même doivent, être considérés comme une source de réflexivité.

C’est en tout cas l’idée proposée par Catherine Fallon et Geoffrey Joris (« L’administration dans un contexte de modernité radicale : quand les instruments de gestion doivent devenir source de réflexivité ») dans leur étude croisée d’une agence en charge de la décontamination des sols et d’une forme de décision publique en matière d’aménagement du territoire. Les auteurs nous livrent ici une série de variables contribuant à favoriser une réflexion sur l’action d’une organisation publique dans un environnement situé.
La variable territoriale tient aussi un rôle fondamental dans la bonne marche de projets culturels et touristiques. Les articles de Nicolas Aubouin (« L’art ancré sur les territoires : les politiques publiques à la renverse ») et de Jeremy Dagnies (« Le vécu des professionnels du tourisme wallon impliqués dans la fabrication d’une démarche qualité ») en témoignent respectivement.

Le premier de ces auteurs analyse en effet les transformations profondes des interactions entre les institutions culturelles « consacrées » et les espaces culturels « émergents ». Le second, quant à lui, étudie l’impact de démarches qualité co-construites sur les comportements des acteurs du secteur touristique. Ces deux textes soulignent, chacun à leur manière, à quel point les modalités d’intervention de l’Etat sont en mutation.

La qualité est également au centre des articles de Bernadette Jambe et Yves van Parys (« La qualité à Jette : une démarche bottom up ou top down ? »). Les auteurs s’attachent à la mise en place d’une certification de type ISO au sein d’une administration communale. Analysant le ressenti des acteurs de terrain, les auteurs dressent le tableau des forces et faiblesses de cette démarche qualité et soulignent son rôle de projet commun, de source de mobilisation dans une administration connaissant une période de mutation.

L’article de Camal Gallouj et de Marion Vidal (« Le marché du conseil aux administrations : un marché singulier ? ») revient sur le rôle des experts déjà soulevé. En identifiant la spécificité des marchés et des relations entre les prestataires publics et le secteur du conseil, les auteurs soulèvent la question de la qualité, perçue ou effective, des prestations des consultants en matière d’administration publique.

En relatant une démarche de changement d’envergure au sein d’une agence régionale, Jean-Claude Moureau, Marc Bogaert et Maryse Bellemont (« Transformation de l’administration de l’équipement et des déplacements en une organisation dénommée ‘Bruxelles Mobilité’ et orientée projets ») soulignent le rôle essentiel du consultant dans le travail de définition, de diffusion et d’ancrage d’une nouvelle culture professionnelle adaptée à l’évolution de l’environnement organisationnel. Autrement dit, c’est une fonction de coordination des points de vue politique, administratif, professionnel sinon citoyen qui est mise en exergue. A ce titre, les consultants peuvent-ils être considérés comme des nouveaux acteurs de l’action publique ?

Les articles de Simon Mas sur la gestion des déchets en Afrique (« Ce que les fonctionnaires municipaux font aux réformes : la mise en œuvre de politiques de gestion des déchets financées par la Banque mondiale au Burkina Faso et au Ghana ») et de Alice Mazeaud (« La modernisation participative vue d’en bas : entre militantisme et malaise identitaire ») sur la gestion participative des lycées font état, respectivement, de cette nécessité d’institutionnaliser la fonction sinon le métier de « fonctionnaire-animateur » et de « politechniciens » – ceux qui possèdent l’art de s’occuper des citoyens – plutôt que de polytechniciens. Face aux blocages, aux conflits inhérents à la mise en place d’une politique publique, ce nouvel acteur, ce nouvel agent de l’Etat semble indispensable toutefois, comme nous l’avons vu dans les deux premiers articles, au prix d’une appropriation identitaire réussie.

Ces contributions ne mettent évidemment pas fin au débat. Suite, dès lors, dans le prochain numéro.