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Accueil du site - Lu et vu 2 - La gratuité. Eloge de l’inestimable

Revue du MAUSS n°35, premier semestre 2010, Paris, La Découverte, 26,95 €, www.revuedumauss.com

Le n° 35 de la Revue MAUSS [1] du premier semestre 2010 est consacré à La gratuité. Eloge de l’inestimable. Ce thème nous concerne dans la mesure où les services publics sont, en partie, des gratuités politiquement instituées comme l’enseignement obligatoire, la sécurité sociale …(au demeurant de moins en moins gratuites, N.D.L.R.).

Selon les auteurs de la présentation du numéro, Alain Caillé et Philippe Chanial, la mercantilisation d’une part appréciable des secteurs public et domestique, autrement dit, la transformation en quasi-marchandises, en marchandises fictives des biens et des services qui avaient jusque là été fournis gratuitement, a, reprenant l’analyse de Karl Polanyi, permis de sauvegarder la croissance. La privatisation marchande de l’enseignement, de la santé, des retraites, de l’assurance, de la fourniture d’eau, de l’électricité, du courrier, du ménage ou des soins à domicile, a de fait permis de gagner des parts de marché.

Dans la présentation, les coordinateurs du numéro se demandent ce qu’on perd, en perdant la gratuité. Leur propos ne vise nullement, écrivent-ils : « à laisser accroire que toutes nos actions pourraient ou devraient s’effectuer sans contrainte, sans mesure et sans objectivation de leur efficacité, dans l’indifférence au gain monétaire et dans la pure spontanéité de la gratuité et du désintéressement. Mais la question qui est désormais posée avec acuité est celle de savoir si la quête effrénée de la productivité, de la croissance et de la rentabilité, outre sa dimension réifiante et aliénante n’a pas dépassé un seuil tel qu’elle n’engendre plus en fait que contre-productivité. »

En effet, « à vouloir extirper partout ce qui procédait d’une logique de gratuité, on tue la poule aux œufs d’or, la source véritable de toute efficience ». A ce sujet, le co-lauréat (avec Pence et Stiglitz) du Nobel 2001 d’économie, George Akerlof, a établi que la condition d’efficacité des entreprises réside dans l’entrecroisement de deux systèmes de dons partiels entre directions et salariés.

Au fil du numéro dense et riche de 340 pages (sans compter les autres articles émis en ligne pour les abonnés), les contributions des auteurs visant plus spécifiquement les services publics ou les politiques publiques en tant que gratuité politiquement instituées sont les suivantes :

P. Dardot et C. Laval : Du public au commun
J-L. Sagot-Duvauroux : La gratuité, chemin d’émancipation
P. Chanial : Le New Public Management est-il bon pour la santé ?
G. Renou : Les laboratoires de l’antipathie. A propos des suicides à France Télécoms (texte disponible uniquement en version numérique)
N. Alter : Travail et déni du don
M. Hénaff : Salaire, justice et don. Le travail de l’enseignant et la part du gratuit
C. Gayet-Viaud : Du passant ordinaire au SAMU social : la (bonne) mesure du don dans la rencontre avec les sans-abri
S. Proulx et A. Goldenberg : Internet et la culture de la gratuité

L’angle d’analyse est extrêmement large et original. Il offre de ce fait, des perspectives et réflexions originales et fécondes.

notes:

[1MAUSS est l’acronyme du Mouvement Anti-Utilitariste dans les Sciences Sociales. C’est aussi un clin d’œil à l’un des pères de l’anthropologie, Marcel Mauss, auteur du célèbre Essai sur le don (1923-1924). Il était aussi un ardent défenseur des services publics.