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Accueil du site - Revue Pyramides - Numéros parus - Pyramides n°20 - Copernic, dix ans après - Introduction - Copernic, dix ans après : les questions de l’identité des agents, de l’autonomie professionnelle et du sens des réformes. Alexandre Piraux

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Dix ans après, le moment est venu d’établir un état des lieux contradictoire et nuancé de ce qu’on a appelé la réforme Copernic. Notre ambition est bien évidemment d’éviter toute approche convenue et tout manichéisme. Pour ce faire, les meilleurs spécialistes belges de la modernisation administrative ont été invités à s’exprimer. La présente livraison de Pyramides est déclinée autour de trois pôles. Le premier reprend la réflexion d’enseignants-chercheurs, un autre contient une approche plus institutionnelle et le dernier pôle est réservé à des acteurs essentiels. Dans la première partie réflexive, trois contributions mettent l’accent sur l’(e) (més)usage et la pertinence des outils de gestion (les tableaux de bord, l’évaluation des agents et des mandataires, les formations académiques), deux autres textes se placent du point de vue des acteurs (les types d’identité professionnelle, la perception d’incertitude lors du changement), enfin les trois derniers textes se situent à un autre niveau d’analyse (la convergence des réformes entre entités fédérale et fédérées, l’irruption de la notion de client et le bilan et la mise en perspective des réformes fédérales). Le deuxième pôle est plus institutionnel et reçoit les contributions de représentants éminents de deux institutions emblématiques de contrôle : la Cour des comptes et le Conseil d’Etat ; enfin le troisième pôle recueille les interviews de la Ministre Arena en charge de la Fonction publique, dans l’immédiat après Copernic et du secrétaire général actuel de la CGSP Vansaingele qui a mené de nombreux combats contre Copernic.

Où en sommes-nous et surtout qu’est-il permis d’espérer ?

La réflexion

Dans son texte (La réforme « Copernic » : du big bang à la « culture de l’espoir »), la Professeure Anne Drumaux (ULB) membre du Comité scientifique de la revue analyse la réforme Copernic en référence à des réformes analogues dans différents pays. Elle estime que prétendre que la réforme « Copernic » s’inspire du New Public Management est à la fois vrai et faux, vrai car les top managers ont été responsabilisés par la définition d’objectifs à atteindre, et faux en raison de la structuration des responsabilités et des tâches entre administrations et cabinets politiques qui reste « d’inspiration administrative ». Outre la réorganisation profonde des départements ministériels, les éléments essentiels de la réforme ont été la tentative d’introduction d’un contrôle de gestion et le remplacement des cabinets ministériels par d’autres structures d’interface ouvertes aux fonctionnaires dirigeants et aux experts externes. Ce dernier élément fut un échec particulièrement flagrant. Toutefois une structure matricielle et un système de mandats de six ans furent installés. Anne Drumaux estime que l’hégémonie du droit a entraîné un blocage de la mise en œuvre de la réforme. L’influence trop grande du droit administratif perçu comme un « paradigme culturel » serait surtout présente dans les Etats de tradition napoléonienne. Convoquant l’analyse de Brunsson sur L’organisation de l’hypocrisie (1989) qui revient à gérer les écarts entre les discours et les actions, et le fait que selon le même auteur « les réformes qui se reproduisent indéfiniment maintiennent une culture de l’espoir », elle estime néanmoins que « la culture de l’espoir au niveau organisationnel conduit au désespoir des entrepreneurs internes » ce qu’elle nomme le « bégaiement des réformes ». Dans la ligne de pensée de Brunsson, la représentation dramatisée de la réforme n’est qu’un préjugé, la réforme pouvant être envisagée comme une partie de la stabilité de l’organisation plutôt qu’une partie relative au changement. Par ailleurs, si par définition, l’intention n’est pas l’action ; alors estime l’auteur, la « culture de l’espoir » est la seule issue possible.

La contribution de Arnaud Daugnaix et de Marie Göransson, chercheurs (ULB) (Dix ans après l’adoption du plan Copernic, comment les hauts fonctionnaires sont-ils évalués et comment évaluent-ils leurs collaborateurs ?) procède à une analyse comparative des dispositifs et des pratiques liées à l’évaluation des hauts fonctionnaires en tant qu’évalué et évaluateur. Les dispositifs évaluatifs sont examinés sous l’angle du management de la performance et de la cohérence de l’action publique. Une étude de cas réalisée auprès des mandataires d’un SPF analyse le ressenti de ces hauts fonctionnaires dans leur double rôle. En tant qu’évalué, ils se retrouvent face au Ministre ou au Président du SPF, selon le cas. Comme évaluateur, ils participent de la dynamique GRH des cercles de développement. De façon plus précise, l’enquête auprès de ces derniers met en lumière leurs perceptions vis-à -vis des différentes dimensions de l’évaluation à savoir l’orientation « performance » de l’évaluation, son apport à la cohérence politico-administrative, sa décentralisation et son objectivité. Le bilan leur apparaît mitigé et l’articulation entre les deux modes d’évaluation (l’évaluation des mandataires par leur ministre et les cercles de développement pour leurs collaborateurs) est questionnée. Le caractère purement descriptif de l’évaluation dans le cadre des cercles de développement (absence de conséquences) est selon l’étude auprès des mandataires, « un manquement majeur au management de la performance ». L’enquête nous apprend aussi que le système de mandats qui relève de la nouvelle culture managériale encourage la coordination entre mandataires alors que ledit système n’a guère renforcé le dialogue politico-administratif : « si l’évaluation des mandataires est vécue comme un processus quelque peu subjectif n’encourageant pas les relations politico-administratives, les cercles de développement sont considérés comme une démarche objective renforçant le dialogue au sein de l’administration ». En fin de compte, l’article questionne l’articulation de la nouvelle culture du management fondée sur un système de mandat (et la fixation d’objectifs, la performance mesurée par des indicateurs) et la nouvelle conception de la GRH reposant essentiellement sur les cercles de développement (gestion centralisée, sans moyens de récompense des meilleurs ou de sanctions). Leur analyse montre que le recours à de nouvelles pratiques administratives inconnues jusqu’il y a peu dans les administrations belges (indicateurs de réussite, évaluation sur la base d’objectifs fixés) est bien acceptée par les top managers ; même si les résultats sont mitigés, vu que « le service public délivre souvent des produits intangibles difficilement quantifiables et pour lesquels la performance individuelle s’avère difficile à mesurer. ».

Le « Public Management Programme » (PUMP) initié en 2001 est lié à la réforme Copernic. La question centrale de la contribution de la Professeure Annie Hondeghem (KUL) et de Bruno Broucker (KUL) est de savoir dans quelle mesure le PUMP a créé une capacité d’implémentation pour la modernisation de l’administration. Leur texte (Créer un lien entre réformes de l’administration et formation en management public, une analyse de l’Etat fédéral belge) nous montre comment un changement de ministre peut infléchir la consistance du PUMP employé comme stratégie de mise en oeuvre d’une réforme. C’est ainsi qu’à partir de 2003, la « nouvelle » ministre de la Fonction publique Marie Arena va impliquer les directeurs des services d’encadrement P&O dans la présélection des dossiers de candidature envoyés aux universités. L’article établit que le développement de compétences et la création de capacités pour une réforme de la fonction publique peuvent aller de pair. « Une formation peut être considérée comme stratégique pour le succès d’une réforme ». Mais le manque de vision cohérente au sujet des besoins en formation de l’administration et le développement des compétences entraîne un manque de consistance externe, à savoir de cohérence entre les perceptions des quatre acteurs principaux (le cabinet, les deux universités, l’IFA, les directeurs P&O) sur la forme et le contenu des programmes.

Comment les fonctionnaires expérimentent-ils le changement dans un contexte d’incertitude ? Telle est l’interrogation des Professeures Cécile van de Leemput et Catherine Hellemans ainsi que de Barbara Lapthorn (ULB) dans leur contribution concernant L’incertitude dans la réalisation des tâches chez les travailleurs suite aux réformes de la fonction publique. Leur étude, dont 80% des répondants n’ont pas de fonction managériale, établit les liens entre les deux dimensions de l’incertitude perçue (la soumission à l’incertitude – tristesse, malaise – et la réaction à l’incertitude - dérangements, gênes -) et les cinq dimensions de changements perçus : le sentiment de justice lors du changement, la qualité de vie au travail, les modifications au niveau de l’équipe de travail, les modifications au niveau du poste de travail de l’agent, l’efficacité des changements. Un des résultats essentiels de l’enquête est « l’absence totale de liens significatifs entre les dimensions de modifications aux niveaux de l’équipe de travail et du poste de travail de l’agent et les deux dimensions de l’incertitude perçue (ndlr : à savoir la soumission à l’incertitude ou les réactions à cette dernière). ». La perception d’incertitude est donc plus liée à des facteurs de changement plus « qualitatif » comme l’efficacité du changement, la justice lors du changement ou la qualité de la vie au travail suite aux changements. Ces résultats mettent en exergue que l’incertitude perçue lors d’un changement majeur « semble être plus sensible à des évaluations subjectives qualitatives qu’à la perception de modifications concrètes, liées plus directement aux activités de travail ». L’étude justifie donc l’idée d’instaurer une équité/justice entre les personnes concernées par le changement, de conduire une politique d’information transparente et à temps. L’efficacité du changement doit être perçue par les travailleurs tout comme la qualité de la vie en général suite au changement, qui doit être à tout le moins préservée. Le climat relationnel, le soutien de l’ensemble du management et l’amélioration de l’intérêt au travail lors d’un changement sont aussi des éléments essentiels. Assez paradoxalement, l’analyse met en évidence que les agents sous statut perçoivent avoir significativement plus de difficulté à vivre l’incertitude que les contractuels qui sont en moyenne plus jeunes que les statutaires. En conclusion, l’étude démontre l’importance de la justice perçue lors du changement, de l’efficacité perçue du changement ainsi que de la qualité de vie au travail ressentie suite au changement pour maintenir un niveau supportable du sentiment d’incertitude.

La dimension identitaire des réformes est rappelée par Giseline Rondeaux, chargée de recherche au Lentic (ULG) (Les identités, filtre d’interprétation et d’action dans le cadre des réformes de l’administration publique ?) qui met en évidence le fait que « le New Public Management constitue un projet identitaire, en ce qu’il vise à redéfinir la main-d’œuvre. ». L’hypothèse qui « charpente » l’ensemble de la réflexion est celle d’une co-structuration (interactions mutuelles) du contexte des réformes et des identités. Ces dernières modifiées par les changements, façonnent en retour le cours des réformes. L’auteur distingue à partir de l’analyse du matériau recueilli au sein du SPF PO, sept profils identitaires en partant des personnes qualifiées d’« invariants » qui se caractérisent par une perception de non-changement, en passant par « les professionnels » pour lesquels « le contenu du métier et de la fonction exercée fait sens, et non le contexte (public ou privé) », pour arriver aux agents « pragmatiques » et aux « démobilisés ». A cet égard, il nous semble bien que l’idéal-type porté par la réforme copernicienne est la figure précitée des « professionnels » réfutant toute spécificité au secteur public. A travers le filtre d’une telle typologie, apparaît la nécessité « d’identifier les porte-parole représentatifs des sensibilités propres aux divers profils identitaires, afin des les impliquer dans le projet de changement ». L’enjeu est donc de co-construire avec les différents acteurs un projet identitaire qui soit « polyphonique », en sorte que les membres de l’organisation dans leur diversité puisse s’y reconnaître (identifier). Une administration diversifiée, en termes de profils identitaires, peut aussi être un facteur d’innovation et de changement.

Les trajectoires des réformes du pouvoir fédéral et des entités fédérées ont-elles une cohérence, et le cas échéant, quel en est le degré, se demandent le Professeur Christian de Visscher et Caroline Montuelle (UCL) (Fédéralisme et réorganisations administratives en Belgique : quelles différences de trajectoires entre l’Etat fédéral, les régions et les communautés ?). Leur analyse des politiques des réformes administratives est effectuée à partir du modèle de changement de gestion publique proposé par Pollitt et Bouckaert (2004). Ces derniers partent de l’idée que les réformes se déroulent essentiellement selon un processus top-down. Ce cadre interprétatif propose une explication de la diversité des trajectoires en fonction de trois facteurs explicatifs : le contexte socio-économique, le régime politico-administratif (en particulier le poids des élites politiques en tant qu’« entrepreneurs politiques ») et les idées sous-jacentes aux réformes. Pour passer du discours à la réalisation, Pollitt et Bouckaert mettent aussi en évidence l’incidence des facteurs fortuits (chance events - crise, scandales, catastrophe), alors que « le degré d’intentionnalité dans les processus de transformation administrative ne doit pas être surestimé ». La contribution établit que les entités n’ont pas adopté des trajectoires différentes mais des rythmes différents entre 1990 et aujourd’hui. Il résulte également de la comparaison que chaque entité a essayé d’organiser sa structure administrative suivant un schéma matriciel qui essaie d’articuler les bénéfices d’une approche fonctionnelle centrée sur les fonctions transversales (personnel, finances) avec les avantages d’une approche spécialisée organisée notamment à partir de produits. Cette analyse révèle la tension permanente entre la volonté politique de renforcer son emprise sur l’appareil administratif grâce au système de mandats de direction restant selon les auteurs, largement politisés et l’annonce d’un partenariat politico-administratif concrétisé dans des « contrats » de management (plans de management et plans opérationnels). Cette tension est commune à toutes les entités. On regrettera sans doute que l’impact particulier des lois linguistiques et du bilinguisme des services sur les réformes fédérales n’ait pu être examiné dans le cadre de cet article.

L’introduction du New Public Management dans les administrations se traduit aussi par une révolution sémantique. L’arrivée de concepts tels que la performance, l’efficience, l’excellence, la concurrence, le recours au vocable de client servent de point de soutènement à de nouvelles normes de comportement qui se présentent comme de nouvelles valeurs professionnelles. Le discours politique est également envahi de ces notions. La contribution d’Eric Nachtergaele, secrétaire général du CERAP, (Commentaires et réflexions sur l’allocution d’ouverture du Ministre de la Fonction publique Steven Vanackere au colloque du CERAP « Les réformes vues d’en bas ») étudie la genèse en 1987, le développement et l’usage du terme client, sous l’angle d’une meilleure réceptivité administrative qui concrétise une nouvelle politique d’amélioration de la relation avec l’usager. Comme le souligne Eric Nachtergaele, le client (et la réceptivité à son égard) est devenu un formidable levier de bouleversement de l’administration publique visant à l’organiser comme une entreprise privée. Le contributeur étudie aussi la fréquence de l’utilisation de quatre occurrences dont celle de client, dans les discours des ministres de la Fonction publique durant la décennie écoulée. L’auteur s’appuie en particulier sur le discours « non-conformiste » du Ministre Steven Vanackere prononcé lors du colloque international du CERAP en mai 2009. Ce dernier texte précède l’article et témoigne de l’équilibre délicat à trouver entre les dérives possibles de l’utilisation de la notion de client et la plus grande réceptivité administrative nécessaire à l’amélioration des liens avec le citoyen utilisateur. Le problème soulevé implicitement par la contribution, selon nous, est que les notions précitées d’efficacité, de performance (introduite plus récemment, de façon implicite en 1997 dans les contrats d’administration des parastataux sociaux et en 2001 dans le cadre de l’évaluation des mandataires des SPF), d’efficience, d’excellence n’ont pas le même sens dans la langue ordinaire ou administrative que dans l’idiolecte gestionnaire. Ceci fait naître une confusion lexicale. On se trouve donc en présence de « concepts nomades » en sorte que les agents ne savent plus très bien ce que les mots qu’on leur fait employer veulent dire. De surcroît, les membres du personnel ignorent généralement ce que le sens gestionnaire de ces concepts peuvent impliquer dans le quotidien de l’action publique. Ceci fait leur force invisible.

Ainsi que son titre l’indique, Bilan raisonné et mise en perspective des réformes administratives fédérales en Belgique identifie et regroupe les réformes politico-administratives les plus marquantes. Ce long périple raisonné mais aussi passionné décrit par l’auteur de cette introduction, nous conduit des Pays-Bas autrichiens à la Belgique de 2010. De la laïcisation du secours aux indigents aux Public-Private Partnerships en passant par le mythique statut Camu (1937). Voyager dans le temps n’est pas dénué d’intérêt, si on admet qu’il n’y a pas de commencement absolu et que les réformes ne sont en effet jamais initiées à partir de rien (ex nihilo). Le texte part donc de l’axiome que la connaissance du passé est utile à l’analyse intelligente du présent. La contribution ne se contente pas de dégager dans une synthèse les grandes lignes de l’histoire administrative, elle essaie aussi de dresser un diagnostic et interroge la pertinence des réformes face aux défis de notre temps. Elle met en relief qu’à de rares exceptions près, et en dépit des innombrables réformes, il n’y eut jamais de politique de la fonction publique, si on entend par là , une action continue, pensée et concertée. Paradoxalement, il y eut plus de continuités que de contrastes entre les différentes mesures. Par ailleurs, un des enjeux centraux est de savoir si l’Etat fédéral, à la double appartenance, vidé d’une grande partie de sa substance et de plus en plus instrumentalisé par les entités fédérées, disposera des ressources symboliques et financières nécessaires à la réalisation souveraine d’une modernisation intelligente de son appareil administratif ?

Un regard institutionnel

Dans un registre institutionnel, la revue Pyramides est fière d’accueillir les deux contributions très substantielles, claires et contrastées, celle du premier président de la Cour des comptes Philippe Roland et celle du Professeur et Conseiller d’Etat Philippe Quertainmont (ULB) par ailleurs membre du Comité scientifique de Pyramides.

Le premier président de la Cour des comptes examine et commente les quatre axes de la réforme Copernic, à savoir, la nouvelle structure organisationnelle, la responsabilisation du management, la réforme de la politique du personnel et enfin les nouvelles méthodes de contrôle. Sur l’aspect de la responsabilisation du management, le suivi d’avancement de la Cour des comptes mentionne étonnamment le fait qu’au 30 juin 2008, moins de la moitié du nombre prévu de titulaires de mandats étaient effectivement désignés ce qui interroge la nécessité d’un tel mode de désignation en particulier pour les fonctions N-2 et N-3. Quant aux systèmes de mesure des prestations (le tableau de bord prospectif et le cadre d’auto-évaluation des fonctions publiques), nous apprenons que ces mesures ne résultent généralement pas d’initiatives ministérielles mais du management.

Pour les nouvelles méthodes de contrôle, Philippe Roland rappelle que si le visa préalable des dépenses par la Cour des comptes en tant qu’organe de contrôle externe relevant du parlement est remis en question depuis longtemps, la suppression du visa préalable ne pourrait « s’envisager sans l’instauration concomitante d’un contrôle interne systématique et efficace ». Afin de mieux évaluer la mise en œuvre d’une politique publique, la Cour des comptes est favorable à une coopération avec les organes en charge de l’audit interne (qui évaluent les activités de contrôle interne ndlr) au sein des départements centraux fédéraux. Cette coopération permettrait aux acteurs de l’audit interne de se conformer à leur obligations légales envers la Cour des comptes. Une telle coopération concrétiserait aussi la perspective du single audit (contrôle unique) mis en avant par la Cour des comptes européenne. Dans ses conclusions, le premier président renvoie aux enquêtes de la Cour des comptes qui indiquent que les mandataires managers ont conduit des progrès significatifs, même si les objectifs d’autonomisation et de responsabilisation des mandataires ne sont toujours pas atteints. Philippe Roland cite ainsi le développement d’instruments de gestion, des progrès dans l’organisation d’un système de contrôle interne, une meilleure définition des objectifs. Cependant, l’implication ministérielle reste exceptionnelle et insuffisante. Et par ailleurs, « Actuellement, la responsabilité ministérielle fait écran entre le parlement et les dirigeants de l’administration fédérale. ». L’importance de leurs fonctions justifierait que ces derniers répondent de leurs actions devant le parlement .

Le Professeur Philippe Quertainmont évalue la réforme à la lumière de certains arrêts significatifs du Conseil d’Etat. Sa contribution met particulièrement en évidence les difficultés de la mise en place des fonctions de management attribués par mandat (avec l’effet particulièrement pervers de la suppression des emplois que les nouveaux postes venaient remplacer, mettant sur la touche les titulaires des anciennes fonctions ne recevant pas de mandat), la mise à plat de la structure hiérarchique traditionnelle, les atteintes portées à la garantie de l’emploi, et enfin l’évaluation restant en quête d’efficacité alors qu’idéalement selon l’auteur, elle devrait poursuivre l’objectif de récupérer les agents peu efficaces et découragés. Il souligne que la littérature a mis en évidence « la lourdeur des procédures d’évaluation fondées sur la difficulté d’élaborer des critères d’appréciation et des objectifs mesurables, sur des entretiens de planification ou de fonction… ». Le contributeur mentionne également que les textes organisant l’évaluation dans les services administratifs de la Communauté flamande retiennent environ 300 critères qui visent à mesurer les aptitudes techniques, et les connaissances et capacités des agents !

Philippe Quertainmont considère que s’il est difficile de dégager un fil conducteur des arrêts du Conseil d’Etat, la réforme Copernic a été une expérience « surprenante, décevante et exaltante ». En vérité, peu d’aspects de la réforme sont sortis intacts des arrêts prononcés par le Conseil d’Etat et la multiplication des recours devant le juge administratif est l’expression d’une rupture de confiance à l’égard du système que les promoteurs de la réforme voulaient installer. Et le contributeur de conclure que « La réforme Copernic ne pouvait par ailleurs aboutir sans un changement de mentalité des autorités politiques, des fonctionnaires et sans un engagement ferme de toute la hiérarchie. Ce qui sous-entendait une information claire des acteurs concernés en vue de leur adhésion… ».

Avant d’entamer le volet consacré aux acteurs, un libre propos d’Eric Nachtergaele se pose résolument en adversaire du New Public Management. A cette fin, une impressionnante série d’arguments appuyés de références devenues classiques et d’autres plus récentes d’auteurs réputés sont convoqués. En fin de compte ce que semble reprocher le plus l’auteur au gouvernement de l’époque est l’absence de débats préalables sur l’importation des réformes managériales et aussi le fait que cette dernière ait été intégrale et non réfléchie. Les autres contributions permettront aux lecteurs de mettre le texte à l’épreuve d’autres arguments.

Des acteurs

Un absent de poids parmi les acteurs est le Ministre Luc Van den Bossche qui, sollicité par nos soins pour participer à une interview, n’a pas donné suite à nos demandes répétées. Les questions qui lui avaient été préalablement communiquées portaient sur les thèmes de la consultance, de la sous-estimation de l’importance de l’adhésion des fonctionnaires à la réforme, de l’absence d’enjeu à la réussite du programme de formation, PUMP, etc… C’est avec regret que nous avons dû constater l’absence de réponse alors que le Ministre avant accepté une interview dans notre revue en septembre 2000 (cf Pyramides n° 2).

La Ministre Marie Arena a reçu la tâche délicate de gérer l’immédiat après Copernic (2003-2004). Elle a bien voulu répondre à notre invitation. On se souviendra peut-être que sa mesure la plus symbolique et médiatique fut la réduction de la rémunération des mandataires. La réforme Copernic avait en effet multiplié par trois la tension salariale (i.e. le différentiel entre le salaire le plus bas et le plus élevé). Les principaux chantiers inscrits au sommet de son agenda furent la mise en œuvre des formations certifiées et des carrières du niveau A notamment grâce à la valorisation des carrières d’expert, l’activation de la mobilité interne qualifiée de « bourse de l’offre de la mobilité ». Si le bilan semble en demi-teintes par rapport aux ambitions de départ, encore fait-il souligner la délicatesse de l’exercice, dans le climat de l’époque. La ministre se livre à des réflexions et commentaires décapants. Pour elle, l’introduction d’experts du privé comme valeur sûre de la bonne gouvernance administrative, ne représente pas une garantie. Le secteur privé n’est pas plus indépendant vu qu’il a lui même des intérêts dans les administrations publiques. C’est une autre forme de politisation. « La dépolitisation apparaît comme une éthique, ce qui sous-tend que la politique n’est pas éthique. Il y a une dévalorisation du politique par la garantie de la gestion privée de l’administration ». En illustration de la nécessité impérieuse d’instaurer des carrières d’expert, se dessine l’exemple malheureux de la commande publique d’ordinateurs destinés aux écoles où, finalement, ce fut le cabinet d’avocats des requérants qui dut rédiger le cahier des charges du marché ! Les administrations sont donc tenues d’adapter rapidement leurs compétences en marchés publics, mais aussi en fiscalité, finances, droit européen, informatique, pour rétablir la crédibilité du service public et de la sorte devenir une référence. L’exemple nordique qu’elle cite impose une mobilité tous les cinq ans et permet aux fonctionnaires de compléter leur connaissance.

Il est bien connu que la Centrale générale des services publics (CGSP) organisation syndicale représentative du « pilier » socialiste a d’emblée été la plus « dure » vis-à -vis de la réforme Copernic. Nous avons rencontré son secrétaire général Roland Vansaingele (secteur administrations et ministères, AMiO) qui nous a confié ses réponses de façon directe et percutante. A maintes reprises, son organisation signa des protocoles de désaccord en Comité A (qui représente le niveau le plus élevé de négociation collective dans la fonction publique). Les points de désaccord généralisés concernaient tout aussi bien la péréquation des pensions, que la carrière du personnel d’exécution, celles des mandataires chef d’administration ou d’encadrement, etc… A la différence de la Ministre Arena, le responsable du syndicat socialiste estime qu’il est utopique de croire que des hauts fonctionnaires mandataires d’une sensibilité différente de leur ministre pourraient se comporter de façon loyale. Alors que la possibilité d’obtenir une meilleure rémunération dès l’entrée en service et d’obtenir par la suite une augmentation de traitement rapidement par une formation certifiée est un des points les plus positifs, la « complexité déroutante » des carrières préjudicie les membres du personnel, tout comme « la non-publication des listes de lauréats des sélections de recrutement et de promotion (qui) empêche tout contrôle démocratique » et contribue à la « désinformation des agents ». Et le secrétaire général de conclure : « La grande utopie a été de croire qu’on pouvait mettre Copernic en place en quatre ans. Il y a eu manque de vision à long terme et un manque de moyens ».

Une liste des ministres de la Fonction publique depuis Copernic clôt la partie consacrée aux acteurs et sert d’utile repère chronologique. Elle permet de mettre en relation les réformes avec la sensibilité politique du ministre en charge.

Demain ?

Interviewé en juin 2010, dans le cadre d’un mémoire de fin d’études, le Ministre Van den Bossche a confié que pour lui, sa réforme « reste une défaite » (mémoire de fin d’études Henin, E., 2010). Cela est certainement le cas par rapport aux ambitions « révolutionnaires » affichées dès le départ. Pourtant, la réforme Copernic a fait entrer, à sa manière, c’est-à -dire de façon frontale, l’administration fédérale dans la logique du New Public Management, à l’instar des autres pays européens. Pour le meilleur et pour le pire.

Une des trames de ce numéro de Pyramides est la problématique majeure de la déconcentration/délégation des décisions quant à l’emploi des ressources humaines et financières : quelle répartition de pouvoirs et corollairement quel partage de responsabilité pour les services d’encadrement et les hauts fonctionnaires mandataires ? Les mesures de décentralisation avec octroi de moyens correspondants ont pour effet une plus grande implication dans les processus de décision ou de gestion. Dès lors, la logique du « rendu de compte » se renforce et acquiert une légitimité plus grande que dans l’hypothèse où les acteurs sont réduits à un rôle de simple exécution. Les dernières réformes traduisent un balancement entre délégation et concentration des pouvoirs. Un des futurs enjeux est donc de déterminer un degré structurel de délégation raisonnable, suffisamment large aux services, et de fixer en les stabilisant les limites des pouvoirs qui restent circonstancielles, floues et mobiles. Le système des mandats a été conçu comme un échange de moyens et de pouvoirs de décision en matière budgétaire et de ressources humaines, contre une plus grande responsabilisation sur les objectifs à atteindre. Dans les faits, les mandataires n’ont pas obtenu une telle capacité décisionnelle et une politique des ressources humaines n’a pu être implantée. Quant à l’autonomie financière des dirigeants, il est de bon compte de reconnaître que la mesure de remplacement des contrôles internes a priori par des contrôles a posteriori n’a pu être mise œuvre en partie, en raison des réticences et de la prudence des organes de contrôle administratif et budgétaire influents (inspection des finances, fonction publique). L’autorité politique exige de ses mandataires plus d’autonomie et d’obéissance, tout en manquant d’implication dans la mise en œuvre de la gestion publique, comme le constatent certaines contributions.

Alors qu’une grande partie de la littérature et des expériences actuelles témoignent de l’émergence de démarches plus ascendantes (bottom-up) en raison de l’hyper-complexité des problèmes et des structures de gestion moderne qui demandent une plus grande déconcentration des pouvoirs pour décider au plus près des réalités et des acteurs de terrain (des publics concernés) la réforme Copernic a privilégié une approche strictement descendante, unilatérale, assez autoritaire. Mais ainsi que l’a encore dit le Ministre Van den Bossche récemment, « inventer la révolution, c’est toujours un travail qui est fait par peu de gens » (Henin, E., 2010). Comme on l’a déjà mentionné, un régime d’autonomie professionnelle tempérée par un reporting tutélaire n’a pas été mis en place pour les mandataires.

Le SPF des Finances, englué dans une série ininterrompue de réformes organisationnelles et structurelles depuis une vingtaine d’années, n’est pas monté en puissance pour assurer un leadership dans le pilotage de l’appareil politico-administratif, en vue de moderniser les pratiques budgétaires et comptables, à la différence de ce qui s’est produit dans beaucoup d’Etats européens où ce ministère a joué un rôle majeur dans le processus de modernisation. Le nouveau Service Public Fédéral P&O et le Service Public Fédéral Budget et Contrôle (institué par Copernic) qui sont des structures spécialisées plus légères, ont endossé ces nouvelles responsabilités et assurent un leadership administratif. Ces nouveaux services construisent leur crédibilité et se positionnent en tant qu’acteur stratégique incontournable.

L’interprétation/construction par les acteurs du sens d’un projet de réforme constitue un des facteurs essentiels de la réussite du processus de changement. Ecoute, motivation et sincérité dans les actions et les résultats sont des enjeux et constituent en même temps des ressources pour la modernisation. A cet égard, étonnamment, peu de contributions soulignent la difficulté de percevoir, le sens réel des réformes. Assez souvent en effet, des objectifs contradictoires sont affichés et une pluralité d’interprétations sont possibles. Il existe aussi un écart entre les buts affichés et les buts latents plus prosaïques. Comme on le sait, les non-dits ou les arrière-pensées nuisent à la crédibilité et ont un effet démobilisateur.

Les agents sont confrontés à un télescopage de référents (par exemple, entre le respect de loi, l’égalité de traitement et la productivité, la prise de risque). Les valeurs traditionnelles de type altruiste sont assombries, ou sont devenues illisibles. Dès lors, beaucoup ne se sentent plus en consonance avec eux-mêmes. Le profil identitaire archétypal du « professionnel » épinglé dans une contribution, comme le référent de la réforme copernicienne, porte en lui, la désintégration, chez beaucoup d’agents, d’une identité professionnelle singulière et positive liée au dévouement.

En filigrane de cette livraison, surgissent de redoutables questions. Y aura-t-il encore des réformes propres à l’administration publique, ou cette dernière devenue avant tout entreprise, se verra-t-elle imposer une servile imitation des réformes privées ? Il est en effet légitime de se demander si on n’assiste pas, dans la finalité des actes de l’administration, à un renversement de perspectives. Le passage progressif, dans de nombreux cas, d’une prestation administrative quasi-gratuite ou accessible à une prestation lucrative, préfigure la perte de la référence centrale à l’intérêt public métamorphosé en intérêts particuliers. Les dernières réformes ont aussi tendance à confondre l’efficacité d’une mesure avec son utilité.

Beaucoup de contributions constatent aussi de façon parfois sceptique ou découragée « la fatigue des réformes », « la culture de l’espoir », « le bégaiement des réformes » en un mot, « la lassitude de l’acteur » face à l’éternel retour des réformes. Toutes ces considérations traduisent donc une certaine « déceptivité » partiellement liée à la multiplication des réformes mais aussi à la finitude de toute réforme, qui au mieux, améliore un problème pour parfois en créer d’autres. A cet égard, on pourrait considérer que les incessantes remises sur le métier des réformes ont eu pour vertu de contribuer au maintien du système administratif, dans le sens d’un évitement de son dépérissement (cf. la contribution d’Anne Drumaux). De fait, un système qui ne parvient plus à changer est un système mort. En fin de compte, les réformes radicales et rapides ne semblent avoir lieu que dans des périodes d’exception critiques ou dramatiques, imposant la prise de risque et le contournement d’une grande partie des dispositifs normatifs. Par la suite, tout se passe comme si une fois la « révolution » reçue, le changement des règles du jeu était rétrospectivement validé et légalisé par la transformation des nouvelles pratiques en règles.

Il est fort à parier qu’en présence des nouvelles menaces globales sanitaires et biogénétiques, face à la détérioration écologique et aux crises alimentaires, de nouvelles gratuités politiques devront être instituées (gratuité d’accès à des biens essentiels, diffusion libre de certains savoirs, de médicaments génériques) et de nouvelles protections publiques installées et garanties (sociale, environnementale, sanitaire) pour prévenir et contrer les risques dans ces domaines ou réparer les dégâts systémiques. L’engagement du service public et son réinvestissement dans l’action collective, selon de nouvelles modalités post-New Public Management centrées sur un projet collectif motivant ayant l’humain comme finalité et non sur le culte absolu et aveugle des chiffres, y auront sûrement leur part.