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Déjà , le numéro 17 de Pyramides – premier des volumes consacrés aux réformes de l’administration vues d’en bas – avait mis en exergue le flux ininterrompu des réformes au sein de la fonction publique dans de nombreux pays tout au long de ces dernières décennies. Le constat est bien connu. Il implique toutefois des réflexions à portée plus générales et transversales lorsqu’on le pose dans le cadre d’une comparaison internationale. Ce numéro de Pyramides se veut, en effet, une mise en relief des réformes par l’observation de différents cas dans quelques pays de la francophonie : la République Démocratique du Congo, la France, le Québec, le Maroc et la Suisse.

Jacques Chevallier (« Les orientations nouvelles des politiques de réforme administrative en France ») dresse un bilan mitigé des multiples réformes administratives qui se sont succédées en France, que ce soit en termes de finalités, de stratégies mises en œuvre pour les promouvoir et leur donner vie, de contenus ou de réception par ceux auxquelles elles s’adressent (au premier rang desquels, les fonctionnaires eux-mêmes et les usagers des services publics). Et l’auteur de montrer le décalage entre une vue par le haut donnant à voir une dynamique de réformes spectaculaire et une vue par le bas, marquée par une mise en application différenciée, des réticences, de fortes défiances se muant parfois en résistance active ainsi que par les héritages d’un modèle administratif qu’une longue histoire a contribué à forger.

Sylvie Trosa (« L’administration est-elle un acteur de la modernisation ? ») poursuit la réflexion sur le cas français à partir de la mise en évidence de la succession et de l’empilement des réformes et des outils censés soutenir celles-ci : les multiples discours sur la qualité, le contrôle de gestion, les tableaux de bord, les audits de modernisation, etc. Autant d’outils introduits très (trop) rapidement sans qu’il soit possible de discerner une continuité dans les démarches et qui, in fine, font obstacle à tout processus d’appropriation par ceux qui sont tenus de les mettre en œuvre. La focalisation sur les outils, l’absence d’analyse approfondie sur les conditions de mobilisation et leur déconnexion des finalités poursuivies aggravent les difficultés à mettre en place une véritable démarche d’apprentissage et, donc, de mise en mouvement des services. Au-delà de ces constats, l’auteure suggère une série de pistes de réponses à la question de l’équilibre entre injonctions venues du haut et mise en œuvre par les services en contact direct avec les usagers.

Yves Emery se livre lui aussi à un exercice de bilan pour le cas suisse (« Les réformes de l’administration publique en Suisse »). Selon l’auteur, les principes et les outils du management semblent connaître une large diffusion au sein de l’administration suisse et, même si le bilan est en demi-teintes, il convient désormais de parler de gestion publique tout court plutôt que de Nouvelle Gestion Publique (NGP). Se renforcent toutefois des enjeux tels que l’articulation des cultures (classique et moderne), l’évitement des cloisonnements, le pilotage de l’action publique ou encore une redéfinition des rapports entre politique et administration. Ce thème est d’ailleurs développé dans trois autres articles de ce numéro.

Dans le cas québécois, Isabelle Fortier (« Expérience des réformes et transformation de l’ethos de service public dans l’administration publique québécoise ») soulève à son tour la question et nous fait part des ambiguïtés vécues par les gestionnaires des organisations publiques tenus d’être les porteurs du changement auprès de leurs collaborateurs, d’être créatifs et disposés à prendre des risques tout en répondant aux volontés politiques venues d’en haut et aux groupes sociaux avec lesquels ils sont en contact direct. Parmi ces ambiguïtés, on distinguera le paradoxe de l’imputabilité (plus d’autonomie mais plus de reddition de compte) ou la contraction des effectifs (faire plus avec moins). Et l’auteure de montrer que ces réformes et leurs implications en termes de stratégies d’adaptation parfois douloureuses (démobilisation, sentiment de perte d’expertise, dévalorisation de l’action, …) se joue également très concrètement, sur le terrain, l’enjeu du maintien de l’éthos professionnelle des fonctionnaires.

Sémir Al Wardi (« L’autonomie polynésienne vue de l’administration ») analyse, du point de vue des acteurs de l’administration, les conséquences des importantes réformes de celle-ci qui se sont succédées au fil des dernières années en Polynésie française. Il dépeint un contexte dans lequel la question de la mise en œuvre de l’autonomie de ce territoire se trouve sans cesse posée en raison de facteurs divers (éloignement géographique, diversité des ethnies, culture propre, réglementations particulières, …). L’auteur nous livre dès lors l’image d’une administration territoriale jeune marquée par une décentralisation interne forte mais en l’absence d’une administration centrale régulatrice, au prise avec une forte politisation des mandats (clientélisme, importance des relations familiales, …), une instabilité politique qui ne favorise pas la continuité du service public et, plus généralement, manquant de moyens humains, techniques et normatifs. C’est donc également la question de la recherche d’un équilibre entre la sphère politique et la sphère administrative qui se trouve à nouveau posée.

Jéthro Kombo Yetilo (« La sous-administration territoriale en République Démocratique du Congo. Etats des lieux et perspectives ») se livre à l’analyse critique de la loi (promulguée en 2008) destinée à servir de cadre de référence à la composition, l’organisation et le fonctionnement des entités territoriales décentralisées en République Démocratique du Congo, pays qui a également connu ces dernières années de nombreuses réformes administratives. Après avoir mis en évidence les carences des lois antérieures (découpe en zones territoriales inadaptées à la superficie du pays et à l’état des moyens de communication, la centralisation de la gestion du personnel de l’Etat en déphasage avec les besoins locaux, l’absence chronique de ressources budgétaires suffisantes, le poids des coutumes en regard des normes légales, etc.), l’auteur suggère que la nouvelle législation en liant, dans un même système, l’administration territoriale et la gestion locale des ressources économiques, techniques et humaines est de nature à porter remède à la sous-administration chronique du pays.

Malik Boumediene (« La question de la modernisation de l’Etat dans le monde arabe : l’exemple du Maroc ») retrace les grands axes de la modernisation annoncée de l’Etat marocain. Dans ce pays, comme dans d’autres, ceux-ci se déclinent en termes de processus de décentralisation / déconcentration, d’équilibrage entre pouvoirs constitutionnels et pouvoir exécutif, de mise en œuvre de règles nouvelles visant à une meilleure gouvernance financière et, plus généralement, d’une place plus prééminente du citoyen dans l’action administrative. Entre les résolutions affichées et l’observation des réalités du terrain, l’auteur relève un ensemble d’écarts qui méritent, à ces yeux, réflexions et actions. La place du citoyen demeure largement fragile en raison du phénomène de la corruption qui reste endémique, de l’absence de transmission d’informations transparentes sur l’usage des ressources budgétaires et le constat d’une bureaucratie toujours aussi lourde, lente, opaque et peuplée de personnels peu compétents, que ce soit dans le domaine des affaires civiles quotidiennes que dans celui des transactions commerciales. Le processus de décentralisation des pouvoirs n’apparaît pas comme plus abouti faute de capacités de gestion locales et de l’inexistence de circuits de délégation dans de nombreux domaines entre instances centrales et territoriales.

Avec le texte de Florence Descamps (« Une expérience de réforme administrative d’en bas en France : les commissions tripartites de 1933 ou la première tentative de cogestion administrative au ministère des Finances »), le lecteur est invité à un retour en France et à un éclairage historique sur les réformes administratives dans le contexte des années trente marqué par une crise budgétaire et financière qui conduit le gouvernement français à réduire le train de vie de l’Etat. L’auteure relate la genèse de l’apparition de commissions tripartites regroupant des représentants du personnel (syndicats professionnels), de l’administration (la « hiérarchie ») ainsi que des usagers. Elle analyse leur fonctionnement au sein du ministère des Finances français où ont œuvré pas moins de quinze commissions chargées de proposer des économies à réaliser par le biais de mesures diverses (réduction de dépenses de personnel, de matériel de dépenses spéciales liées aux frais de représentation mais également mesures de réduction des dépenses par une meilleure organisation du travail, une répartition des tâches améliorée, le regroupement de services, etc.). L’examen des méthodes de travail de ces diverses instances et des propositions auxquelles elles ont abouti permet de tirer un bilan de cette expérience (par le bas) qui sera relativement brève et laissera la place à d’autres réformes administratives mises en œuvre selon d’autres modalités (par le haut).

Comme il se doit, il n’est pas possible d’imaginer des instruments de gestion sans statistiques. C’est le rôle des statisticiens dans l’exercice de définition et de calcul des indicateurs de gestion qui fait précisément l’objet des analyses d’Etienne Penissat (« Des statistiques sans statisticiens ? Politique des « indicateurs de la Lolf » et enjeux statistiques. Le cas du Ministère du Travail et de l’Emploi »). Il met en évidence les débats critiques (organisés, notamment, par l’intermédiaire d’associations et de syndicats professionnels) qui ont entouré la question des indicateurs à l’occasion de la mise en place de la Lolf, débats qui concernent le jugement de pertinence de ces derniers, leur objectivité, leur caractère technocratique et, plus généralement, les liens qui se tissent entre politique et statistique. L’auteur rend ensuite compte d’une enquête ethnographique en cours au sein de la direction d’étude et de statistique du ministère du Travail et de l’Emploi qui le conduit à observer une marginalisation des statisticiens dans la conception des indicateurs.

Claude Rochet, Olivier Keramidas, Bruno Tiberghien, Philippe Agopian et Catherine Paris-Laporte (« Management des services publics et pilotage de la performance : vision en contre-plongée de la loi d’orientation sur les lois de finance ») rendent compte d’une recherche-action menée au sein des Services Départementaux d’Incendies et de Secours des Bouches-du-Rhône en France dans le contexte de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001. Les auteurs, issus à la fois du monde de la recherche en management public et du terrain de la lutte contre les incendies, présentent la synthèse de la démarche méthodologique utilisée pour la mise au point d’indicateurs de toutes natures répondant aux besoins de pilotage de la performance des services départementaux. Alliant résultats de recherches universitaires et participation intensive des parties prenantes, ils proposent aux lecteurs une démarche qui permet de poser les conditions d’un meilleur partage des connaissances et des expériences et, au-delà , l’innovation organisationnelle par la recherche.

En retraçant l’histoire récente de la création de l’agence nationale pour la rénovation urbaine en France (« De l’analyse des réformes par le bas : le cas de la création de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine »), Bertrand Dépigny nous livre une analyse de l’évolution de l’action publique dans le domaine de la politique de la ville et, plus particulièrement, dans celui de la rénovation urbaine. Lui aussi met en lumière les ambiguïtés des relations politico-administratives. Les agences sont certes de vecteurs de changement mais, faisant écho à la stabilité constatée par David Giauque, Fabien Resenterra et Michaël Siggen, Bertrand Dépigny (voir ci-dessous), il montre combien les mécanismes bureaucratiques réapparaissent de manière presque inéluctable.

Traitant du cas suisse, David Giauque, Fabien Resenterra et Michaël Siggen (« Trois cantons suisses face aux réformes. Une impossible séparation entre sphères politiques et administrative ») constatent une stabilité dans la dynamique des rapports entre politique et administration. Ces deux sphères sont-elles, en fin de compte, séparables ? En contre-pied des principes de la NGP et des réformes qui en sont inspirées, les auteurs démontent une série d’hypothèses en la matière et témoignent d’un maintien des relations de dépendance réciproque entre les deux sphères : cette séparation entre monde politique et de l’administration ne semble ainsi ni réalisé ni d’ailleurs souhaité.

A vocation comparative, ce numéro de Pyramides comporte les textes d’interventions faites au colloque sur les « Réformes de l’administration vues d’en bas » tenu en mai dernier et s’inscrit dans une perspective internationale.

La prochaine livraison de la revue poursuivra en grande partie la réflexion mais, cette fois, dans le contexte d’un retour sur dix années de réformes en Belgique. Qu’est-il, en effet, après une décennie d’expériences et de péripéties diverses, advenu de la Réforme Copernic ? Quel bilan peut-on en tirer non seulement en regard des ambitions affichées au départ mais également pour l’avenir des réformes qui, immanquablement, sont à venir ? Comment mettre en perspective cette réforme en regard de la rhétorique du nouveau management public ? Autant de questions auxquelles tenteront de répondre, dans la ligne éditoriale qui est celle de Pyramides, des acteurs de terrain et des observateurs extérieurs.