Le présent numéro de Pyramides a pour ambition de se pencher sur la problématique des ressources humaines dans l’administration publique, dans un environnement complexe de changements sociétaux et de restrictions budgétaires. La guerre des talents qui se joue(rait) oppose le secteur privé et le secteur public, faisant rejaillir les particularités, pas forcément immuables, de l’une et de l’autre. Pour la fonction publique, l’équation est difficile : recruter et fidéliser les bons éléments, tout en réduisant le nombre de fonctionnaires et en modifiant son statut, c’est-à -dire son identité en tant que travailleur et représentant de l’Etat.
En introduction, Eric Nachtergaele rappelle que si l’administration aligne sa politique de recrutement sur les pratiques du privĂ©, elle ne partage pas pour autant la mĂŞme finalitĂ©, celle de faire du profit. Il revient Ă©galement sur l’origine du concept de la « guerre des talents » et soulève les questions qui pèsent sur la sauvegarde des notions d’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral et de dĂ©mocratie.
Les auteurs David Giauque, Simon Anderfuhren-Biget et Frédéric Varone estiment quant à eux que la littérature scientifique sous-estime les motivations idéelles et valorielles des travailleurs, que ces derniers soient conscients ou non de leurs talents, et qu’ils se trouvent dans le secteur privé ou le secteur public. L’étude des processus motivationnels des employés qui nous est présentée, montre que, si guerre des talents il doit y avoir, l’approcher par les valeurs sera déterminante.
L’article d’Alexandre Piraux, « Le statut et la guerre des talents », revient d’abord sur la notion de talent, qui est selon lui, un don individuel, une exception. Or l’idĂ©al d’excellence est le leader (manager) compĂ©titif. Il nous rappelle les raisons d’être du statut, sans le prĂ©senter pour autant comme un « concept indĂ©passable ». L’administration reprĂ©sente l’engagement dans sa durĂ©e Ă une Ă©poque oĂą les carrières s’envisagent Ă court terme. Pour l’auteur, « les services publics ne manquent pas de talents, il leur faut surtout un cap et un projet ».
La contribution de Dorien Buttiens et Annie Hondeghem étudie la position du gouvernement flamand dans la gestion des talents, sur la base de deux approches principales : l’approche exclusive qui concerne une élite très restreinte de collaborateurs, et l’approche inclusive qui touche tous les employés de l’organisation. Il en ressort que le gouvernement flamand privilégie l’approche inclusive, sur la base de l’idée que tout le monde a du talent et que celui-ci doit être développé. Pour le secteur public, cette approche semblerait tenir du réflexe naturel. Dans le même temps, les institutions flamandes sont également soumises à des pressions économiques pour maximiser l’efficience.
Une thĂ©matique sous-jacente Ă la guerre des talents a trait aux diffĂ©rences gĂ©nĂ©rationnelles des travailleurs et la façon dont le monde du travail devrait tenir compte de leurs spĂ©cificitĂ©s. Avec « GĂ©nĂ©ration Y : much Ado about nothing ? Le talent des jeunes », Luc Wilkin revient sur cette question avec un portrait de la gĂ©nĂ©ration Y et ses talents rĂ©els ou supposĂ©s, relevant les approximations qu’engendre une telle classification gĂ©nĂ©rationnelle.
Pour la rubrique des Ă©tudes de cas, Eric Nachtergaele s’est entretenu avec Jean-Marc Delporte, PrĂ©sident du SPF Economie, PME, Classes moyennes et Energie. Ce dernier estime que le statut financier des fonctionnaires n’est pas très diffĂ©rent de celui du secteur privĂ©. Travailler pour l’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral et bĂ©nĂ©ficier d’une stabilitĂ© de l’emploi pour les fonctionnaires statutaires constituent, Ă ses yeux, les avantages majeurs de la fonction publique. Pour l’avenir, la mobilitĂ© interne devrait ĂŞtre amĂ©liorĂ©e afin de satisfaire les agents dĂ©sireux d’avancer dans leur carrière. Les candidats Ă un emploi dans la fonction publique ont une motivation particulière quant aux objectifs plus humains de l’organisation. « Les travailleurs n’acceptent plus que le but soit le seul profit dont ils ont par ailleurs l’impression que cela ne leur profite pas ».
Egalement prĂ©sentĂ© dans les Ă©tudes de cas, l’article de Jean-Paul Gailly et Laurence Vanhee analyse le tĂ©lĂ©travail en tant qu’outil de bien-ĂŞtre pour les travailleurs et de ce fait, comme critère retenu par les talents pour diriger leur carrière vers la fonction publique, ou du moins dans le service qui propose ce mode de travail car, comme le soulignent les auteurs, la guerre des talents a aussi lieu entre les diffĂ©rents services de l’administration publique. Le texte prĂ©sente les cas du SPF SĂ©curitĂ© Sociale et du SPF MobilitĂ© et Transports oĂą les concepts de « flexiplace » (plusieurs lieux de travail) et « flexitime » (horaire variable) ont Ă©tĂ© mis en Ĺ“uvre. Entre autres conclusions, il ressort de leur analyse qu’un changement de mentalitĂ©s des managers est encore nĂ©cessaire, afin d’établir un lien de confiance avec leurs collaborateurs.
A l’occasion des 75 ans d’existence du statut « Camu », Eric Nachtergaele revient sur les modifications qui sont en cours depuis 2012 sur le texte du statut. Des mesures ont Ă©tĂ© adoptĂ©es dans un contexte financier difficile qui prĂ©voit seulement le remplacement d’un fonctionnaire sur trois. L’auteur s’interroge quant aux consĂ©quences de leur mise en chantier sur la carrière des fonctionnaires. La nouvelle carrière pĂ©cuniaire, l’avancement barĂ©mique seront basĂ©s sur la nouvelle forme d’évaluation. La mesure la plus marquante actuellement en nĂ©gociation syndicale est certainement celle visant Ă crĂ©er un Conseil du Contentieux du personnel sur le modèle du Conseil du Contentieux des Etrangers. Cette future juridiction administrative spĂ©cialisĂ©e serait la seule compĂ©tente pour connaĂ®tre des recours introduits Ă l’encontre de dĂ©cisions individuelles prises dans le domaine des contentieux du personnel de l’Etat.
La contribution de Nadine Sougné et Gisèle Dedobbeleer fait le point sur la pratique au Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale de proposer à ses collaborateurs des bilans professionnels, dans le but de les fidéliser et de les rendre acteurs de leur propre développement. L’individu est mis en valeur, dans une logique d’encadrement qui veut éviter une culture de l’organisation trop contrôlante. La politique des ressources humaines doit trouver l’équilibre entre l’organisation, le management et l’individu.
Dans une prise de position plus personnelle, l’article de Sonia Mendoza qui a été rédigé avant le dévoilement du plan de réforme des carrières du secrétaire d’Etat à la fonction fédérale Hendrik Bogaert début 2013, traite de la capacité des organisations publiques à se montrer attractives. La place qu’occupe la gestion des ressources humaines est la question-pivot qui structure son analyse. Elle propose des pistes pour un futur amélioré de la prise en charge des talents. On note à cet égard la suggestion de prendre plus en compte et de tester les compétences clés des agents plutôt que de se focaliser sur les titres et les connaissances.
En dĂ©finitive, la prĂ©sente livraison apporte une vision contrastĂ©e et clivĂ©e de la notion de talent. Les contributions de la partie « Approche gĂ©nĂ©rale » privilĂ©giant plutĂ´t une approche du talent Ă©troitement liĂ©e aux valeurs publiques alors que les articles de la partie « Etudes de cas » semblent reproduire une approche indiffĂ©renciĂ©e de la notion de talent quel que soit le secteur concernĂ©.
En dehors de la thĂ©matique traitĂ©e dans ce numĂ©ro, François Romijn s’interroge, Ă travers une analyse comparative de deux plateformes santĂ© sur Internet, sur la place occupĂ©e par l’action publique dans la diffusion d’informations de santĂ© en ligne. Au-delĂ de la logique individuelle de responsabilisation (« empowerment ») de l’usager-patient, la question qui se pose est de savoir jusqu’oĂą s’étend cette responsabilitĂ© et sous quelle forme celle-ci peut Ă©voluer.
Enfin le texte « DĂ©construire le spectacle politique : quand les mĂ©dias mettent en scène » postule que les mĂ©dias jouent un rĂ´le fondamental dans la structuration du monde politique. S’inspirant des travaux de Edelman, Geoffrey Joris propose une analyse empirique de quelques crises mĂ©diatiques rĂ©centes afin de montrer que la sphère mĂ©diatique peut ĂŞtre comprise comme un « spectacle politique » dont il y a lieu de dĂ©construire les messages afin d’en extraire l’information pertinente.
La rédaction