A l’heure où la méritocratie est de nouveau vantée, et mise en évidence en tant que valeur et comme critère de choix des meilleurs notamment dans les services publics, il nous a paru très intéressant de recenser un des rares ouvrages qui essaie d’objectiver ce mot-valise employé comme si il renvoyait à une évidence alors que sa définition recouvre au contraire des enjeux différents. Le mérite est pourtant brandi et revendiqué par tous.
L’auteur se demande ce que peut signifier le retour du mérite dans la mesure où il n’est plus question à l’heure actuelle « de valeur morale, d’accomplissements humains, de bonnes actions, de vertu ». Le mérite semble au contraire être « quelque chose qui doit payer ».
L’auteur examine le concept « épais » (thick) de mérite, « épais » en ce qu’il se compose d’ingrédients divers, historiques et conceptuels. Mais la notion de mérite est aussi analysée dans ses éléments constitutifs, ses justifications, ses réussites et échecs.
Yves MICHAUD constate que le système du mérite a commencé à partir du moment où face à la complexité, la société a eu besoin de compétences, et de spécialistes expérimentés. La naissance, les relations familiales, les recommandations familiales ne suffisaient plus. 1747 voit ainsi en France, la création de l’Ecole royale des ponts et chaussées qui permettra jusqu’à ce jour, l’éclosion de générations de brillants ingénieurs, hauts fonctionnaires de l’Etat.
Le souci technocratique de la compétence administrative n’est pas étrangère à l’esprit des Lumières. La révolution française va accélérer le processus de professionnalisation, pour le dire en termes d’aujourd’hui. L’Ecole polytechnique et l’Ecole normale supérieure seront crées en 1794.
A chacun sa capacité affirme l’ abbé SIEYES, député des états généraux et constituant en 1789. Selon ce dernier « Il faut pour toute espèce de service public, préférer les plus capables ». Il s’agit d’ un projet lumineux mais difficile à mettre en œuvre tant selon LA ROCHEFOUCAULD ( moraliste d’avant la révolution), les hommes récompensent plus les apparences du mérite que le mérite lui même. Les modalités d’évaluation des mérites au recrutement puis en cours de carrière et la définition des compétences requises resteront des difficultés rarement dépassées et toujours d’une grande actualité. Comme le note Yves MICHAUD « on ne note pas de la même manière une épreuve suivie par des milliers de candidats et une autre avec moins d’une centaine de concurrents ».
De façon surprenante, l’usage du terme mérite dans son sens professionnel apparaît seulement au début du XIXième siècle. Cela s’explique du fait que le mot mérite est connoté religieusement (les bonnes actions du fidèle et la Grâce divine).
Selon l’auteur, une contradiction de fond existe entre les différences de traitement que le mérite légitime et les exigences de l’égalité. De ce fait, la notion de mérite est passée en revue au prisme des théories de l’égalité (RAWLS, WALZER, SEN). D’après Yves MICHAUD, on serait peut-être allé trop loin en matière de doctrine de droits et de demande d’égalité, la maxime reine serait désormais « A chacun selon sa revendication ». Le mérite serait convoqué comme une sorte de correctif « sauf que ce correctif est verbal et, dans la pratique, inopérant ». En effet « Qu’est-ce que le mérite si on ne sait plus ce que sont les vertus ? ».
Par ailleurs, la complexité des situations et des systèmes et le rôle énorme de la chance dans la distribution des capacités de départ « fait douter des attributions de mérites ».
En guise de conclusion, Yves MICHAUD envisage un mérite élargi « portant sur les actions dans leur continuité et cohérence dans l’ensemble de la vie d’une personne. Ce n’est qu’à la mesure d’une vie et de son caractère vertueux que l’on pourrait identifier ce mérite élargi ».
On n’oserait pas écrire que l’ouvrage d’Yves MICHAUD est « méritant » dans le meilleur sens du terme car cela prêterait à confusion compte tenu du caractère « flou et incertain » du concept. Ce livre est en tout cas très stimulant et riche. Malheureusement, il est parfois trop aisé de se perdre dans les méandres de la démonstration.
Alexandre Piraux