Cet ouvrage collectif publie les actes du colloque du 19 novembre 2010 sur le paraétatisme aux FUSL. Il revêt certainement un aspect très technique dans le sens de juridique. Cependant il serait faux d’en déduire que sa lecture est réservée aux seuls spécialistes du droit administratif. Un public plus large est potentiellement concerné. En effet, une série de contributions revêtent une portée plus étendue et retiendront l’attention de tous ceux qui s’intéressent à la gestion publique. Nous pensons ici à la contribution de Steve Troupin, Koen Verhoest et de Jan Rommel sur les leçons d’expériences internationales de décentralisation fonctionnelle, à celle de Dimitri Yernault et de Benjamin Cadranel qui dressent une cartographie institutionnelle, chronologique et exhaustive des pararégionaux bruxellois en partant du Port de Bruxelles (1895) jusqu’à l’Agence régionale de stationnement (2009). Les articles de Julien De Beys sur les agences européennes et de Koen Verhoest, Frederik Vandendriessche et Jan Rommel sur l’autonomisation (verzelfstandiging) en Flandre sont des textes de sciences administratives. Enfin, l’introduction de Pierre-Olivier Debroux, avocat et historien donne une impressionnante vue synoptique. Cet auteur souligne qu’une des conséquences de l’européanisation des services publics est la tendance à un rapprochement des modes de gestion des institutions publiques avec les règles et les formes de droit commun. Ainsi que l’ont écrit Michel Van de Kerchove et François Ost [1] (2002) « L’opposition traditionnelle entre l’intérêt général et les intérêts privés fait place à une conscience beaucoup plus nette de leur nécessaire enchevêtrement …. ». Les autres contributions feront le bonheur des publicistes qui pourront actualiser et peaufiner leur expertise sur l’autonomie avec ou sans personnalité juridique (Irène Mathy), la décentralisation en Région wallonne et en Communauté française (Marc Nihoul et François-Xavier Barcena), les ASBL de pouvoirs publics (François Belleflamme), le recours abusif aux contractuels dans les organismes publics (Jean Jacqmain), les contrats de gestion et d’administration (David De Roy), la décentralisation et le droit européen de la concurrence, des aides d’Etat, et des marchés publics (Pierre Nihoul).
La décentralisation a toujours été caractérisée par une grande hétérogénéité dans les formes et les statuts juridiques empruntés par les organismes publics.
En ce XXIe siècle c’est plus que jamais le cas et la diversification des statuts est qualifiée d’« extrême » et de « débridée ».
Diverses raisons sont à l’origine de ce phénomène : outre la fédéralisation du pays qui a amplifié le phénomène, on citera des raisons politiques de visibilité et de crédibilité de l’action publique, la volonté de ne pas dépasser une masse critique en personnel centralisé (cf le cas de la Commission européenne avec ses 40 000 agents qui a créé de nombreuses agences exécutives), et des raisons plus récentes comme la débudgétisation dérivant de la classification SEC95 qui fait que des emprunts sont confiés à des organismes et sociétés publiques pour respecter les critères d’endettement du Traité de Maastricht. Dans certains cas de dissension au sein des autorités publiques, la création de l’agence ou de l’observatoire permet de techniciser le débat et de collecter des données (cf l’exemple de l’observatoire européen des drogues et des toxicomanies) en attendant une prise de décision.
La nouvelle décentralisation fonctionnelle est marquée par la conclusion de contrat de gestion (1991) d’administration (1997) et même d’accord de coopération (décret-cadre de 2003) entre l’agence autonomisée externe de droit privé (EVA) qui est la forme la plus poussée de décentralisation et le gouvernement flamand. Le ou (la) mode contractuel(le) installe un pilotage par les résultats sur la base d’indicateurs notamment financiers, en lieu et place de la tutelle classique visant le respect de la loi ou de l’intérêt général. Dans la plupart des cas, on assiste à un cumul du pilotage par les résultats avec le traditionnel contrôle de tutelle. Il semble bien que le paradoxe de l’« agentification » soit celui d’une fausse autonomie, c’est-à -dire une autonomie théorique mais des contrôles stricts renforcés de toute nature. Le pilotage par les résultats a donc des difficultés à trouver sa place : généralement il se superpose aux traditionnels contrôles hiérarchiques ou de tutelle, plus rarement, il se substitue aux contrôles classiques ce qui entraîne un déficit de pilotage politique.
Différents constats de spécialistes sont convergents, « quelque chose est en train d’émerger », les distinctions traditionnelles continuent à être de plus en plus confuses. Les formes d’organisation de l’administration, en interne et en externe, sont hybrides. Les auteurs des conclusions générales, Bruno Lombaert et François Tulkens se risquent à l’hypothèse selon laquelle le paraétatisme serait un phénomène qui ne remplace pas les modes d’organisation de l’Etat, mais les transforme peu à peu.
Le paraétatisme est en effet organisé par des normes et statuts considérés comme légitimes mais qui déjouent toutefois les schémas légaux traditionnels. Selon les auteurs, le paraétatisme s’est développé « en marge des pouvoirs » et illustre le concept de « paralégalité » théorisé en particulier par Hugues Dumont. Pour rappel, cette notion désigne des normes considérées comme légitimes par un groupe social mais dont certaines sont contre les règles de droit existantes. En tout état de cause, la tension entre autonomie et contrôle est indissociable du concept de la décentralisation fonctionnelle et provient des important enjeux politiques qui accompagnent les activités confiées à l’organisme concerné.
La question de la nature publique ou privée d’une institution (A.S.B.L., société) reçoit rarement une réponse claire et absolue. Comme l’a développé le Professeur Vandendriessche (R.U.G.), dans sa thèse de doctorat, il ne s’agit pas de choisir entre le public et le privé, mais « plutôt de situer un organisme sur un continuum dont la personne publique pure et la personne privée pure seraient les deux pôles opposés ».
Comme on pourra le constater, cet ouvrage au-delà de certains aspects plus austères et purement juridiques, a le grand mérite de susciter une réflexion stimulante sur les nouveaux instruments de gestion publique et de relancer le débat à ce sujet.
Alexandre Piraux