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Accueil du site - Repéré pour vous - Livres et revues - Fonction publique, se moderniser sans se perdre

La revue Politique a consacré un dossier de 25 pages, dans son numéro de janvier-février 2013, au thème de la fonction publique, plus précisément à la situation des fonctionnaires dont le métier et les méthodes de travail ont été profondément modifiés au fil des réformes. Comme l’indique le sous-titre de ce thème, « les nouveaux habits d’un corps mal aimé », les nombreuses mutations de l’administration publique n’ont pas modifié la perception négative que la population éprouve à l’égard des agents. Le statut du fonctionnaire nommé à vie reste un privilège mal compris, beaucoup envié et d’autant plus décrié en période de crise. Dès lors, ce numéro de Politique nous invite à prendre de la hauteur, soit historique, soit philosophique, afin de saisir dans sa complexité le concept de fonction publique. Il donne également la parole à des fonctionnaires confrontés de l’intérieur à la modernisation de leur administration. Non sans difficulté…

Parmi les auteurs qui ont participé à ce dossier, Jean-Paul Nassaux attire l’attention, dans son article « Gouvernance : un bien ou un mal ? », sur la face sombre de la gouvernance, dont les objectifs de rentabilité tendraient à imposer une pensée strictement comptable pour laquelle la démocratie représenterait davantage une contrainte que le fondement de l’action de la fonction publique. Face au consensus généralisé pour une gestion capitaliste de l’administration publique, l’auteur rappelle, tout en déplorant la faiblesse de leur influence dans la sphère politique, les mises en garde émises par certains intellectuels. La gouvernance risquerait de nous mener vers un Etat minimal, appauvri et peu ouvert à la démocratie.

De son côté, Alexandre Piraux (« Vers des réformes de 3e génération ? ») relève l’existence de modèles alternatifs de réformes, postconcurrentiels car axés sur les valeurs de la fonction publique et des défis plus sociétaux, sans que ces modèles ignorent les contraintes financières, mais en tenant compte de leur contexte politique. Ainsi, bien que ces modèles soient encore inachevés et peu suivis, ils se démarquent du New Public Management qui inspire les administrations depuis les années 80’, en prenant le secteur privé comme modèle de gestion. Pour Alexandre Piraux, il est encore difficile de dire si ces modèles de 3e génération sont réellement nouveaux ou simplement correcteurs des actions du passé. L’optimisme n’est en tout cas pas de mise : « On a la pénible impression que les gouvernements considèrent leur administration (…) comme un problème et non plus comme une partie de la solution ».

Politique s’est entretenu avec le Professeur Jean Jacqmain autour de la question du statut privilégié des fonctionnaires. Face aux critiques à l’égard des avantages dont bénéficient les agents de la fonction publique, il estime que c’est la situation des fonctionnaires qui doit être davantage regardée comme normale, par rapport à la situation du droit du travail (conditions de travail précaires) qui est devenue anormale. Il revient sur les raisons des privilèges dans l’administration, l’importance de la mission de continuité du service public et le besoin de sérénité dans les rapports avec la classe politique. L’introduction du système de mandat dans la haute fonction publique est par exemple, pour l’interviewé, en contradiction avec l’esprit de service public : « L’introduction du management, lié au mandat, est en tout cas un facteur de pourrissement en terme de motivation du personnel car le fait que la direction de l’administration soit placée dans une situation d’instabilité est assez néfaste ».

Kenneth Bertrams, historien à l’Université Libre de Bruxelles, revient sur la genèse de la fonction publique, en particulier en Belgique où elle naît juridiquement dans un contexte politique tendu. Par une plongée dans l’histoire, l’auteur mentionne les racines technocratiques de l’administration.

Philippe Meunier, fonctionnaire fédéral depuis 30 ans, porte quant à lui un regard critique sur la réforme Copernic. Le bilan de la réforme peut dépendre fortement de la conception que le/la ministre a de sa relation avec son administration. Philippe Meunier relève l’impact faible de la réforme sur la société et surtout, la culture de méfiance qui prédomine de la part de tous les acteurs à l’égard des autres. L’auteur s’interroge : « pourquoi s’intéresser si peu à la manière dont les services publics fonctionnent ? ».

Dans un second article, « Selor : qualité en hausse », Philippe Meunier dresse un bilan plutôt positif pour la sélection des fonctionnaires dirigeants : la qualité des lauréats s’est améliorée. Toutefois, la politique de compression des effectifs dans la fonction publique fédérale, couplée à l’importance du diplôme comme critère d’engagement par l’Etat, cette situation accentuera à l’avenir, d’après l’auteur, la discrimination sociale à l’embauche.

Un dernier volet du dossier de la revue se penche sur les administrations régionales (bruxelloise et wallonne) qui ont connu leur train de réformes propre, en particulier au sein du personnel. A Bruxelles, Gratia Pungu considère que la contractualisation a créé une forme de discrimination car elle a touché en priorité les nouveaux venus, au sein des pouvoirs locaux. D’autre part, au sein de l’administration régionale bruxelloise, l’auteure relève que les différences statutaires au sein du personnel et l’évaluation individualisée détruisent la solidarité des travailleurs.

Côté wallon, Luc Melotte, ex-directeur général Personnel et Affaires générales, désapprouve le partage des compétences au niveau politique, qui complique les liens avec les fonctionnaires, un mandataire pouvant dépendre de 2 à 7 ministres différents. La réorganisation de l’administration wallonne a été marquée par une accélération du phénomène d’agencification , mal ressentie au niveau de l’administration centrale qui perd des moyens et ses meilleurs éléments, attirés par des opportunités de carrière plus avantageuses en agence.

De ce fait, l’inégalité statutaire entre fonctionnaires, au niveau fédéral ou régional, crée des tensions entre les travailleurs et est très éloignée des valeurs (égalité, continuité du service public,…) que la fonction publique est sensée refléter.

En conclusion, ce numéro stimulant de Politique présente des visions personnelles, variées et parfois même contradictoires des services publics face à la modernisation.

Comme l’affirmait Baudelaire, « la modernité, c’est le fugitif, le transitoire, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable ».

Florence Daury

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« Fonction publique : se moderniser sans se perdre – Les nouveaux habits d’un corps mal aimé » (dossier de 25 pages), Politique, n°78, janvier-février 2013. (9 euros)

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