Un des dernières livraisons du Courrier hebdomadaire du CRISP est consacrée au copieux volet bruxellois de l’Accord institutionnel pour la sixième réforme de l’Etat. Il est rédigé par Jean-Paul Nassaux, membre du Comité de rédaction de la revue Pyramides qui est également un spécialiste reconnu et apprécié des problèmes institutionnels bruxellois.
L’Accord institutionnel du 11 octobre 2011 inclut trois accords légèrement antérieurs : celui sur la scission de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde, celui sur la simplification intra bruxelloise, et l’accord sur le refinancement de Bruxelles et la réforme de la loi spéciale de financement. La simplification intra bruxelloise et la scission de l’arrondissement satisfont la demande flamande tandis que le refinancement substantiel répond aux desiderata francophones.
L’Accord institutionnel pour la sixième réforme de l’Etat a, selon l’auteur, consolidé le statut de Bruxelles. Ainsi l’octroi de l’autonomie constitutive a-t-il une portée réelle, même si les ordonnances bruxelloises ne sont toujours pas mises sur le même pied que les décrets wallons et flamands.
Le recours prévu par l’accord institutionnel à la Commission communautaire commune (COCOM), institution bi-communautaire composée exclusivement d’élus bruxellois, permet d’éviter que les citoyens bruxellois ne doivent opter pour une des deux grandes communautés dans le cadre des compétences communautaires transférées et de mettre en place des régimes différents selon l’appartenance linguistique du bénéficiaire. Le piège de la sous-nationalité qui aurait divisé les citoyens bruxellois a donc été déjoué. L’idée de Bruxelles comme capitale commune cogérée par les deux grandes communautés a été complètement écartée dans l’accord au grand dam de la N-VA.
Un élément essentiel de l’accord institutionnel réside, comme on le sait, dans le refinancement substantiel des institutions bruxelloises (486 millions d’euros annuels à l’horizon 2015) ce qui est une réponse concrète au sous-financement structurel de Bruxelles.
L’accord sur la simplification intra bruxelloise, intégrée à l’accord général, a été élaboré par les Bruxellois eux-mêmes. Il ne s’agit que d’une étape d’un processus et non d’un aboutissement.
De nouveaux fragments de compétences sont transférées à la Région de Bruxelles-Capitale : l’emploi (le contrôle de la disponibilité des chômeurs et sanctions, l’activation des allocations de chômage, les réductions ciblées des cotisations sociales vers un groupe déterminé de demandeurs d’emploi,…), la politique économique et industrielle, la mobilité et la sécurité routière (la détermination des limites de vitesse sur le voie publique, la réglementation en matière de placement de la signalisation, les compétences de l’IBSR,..), l’Energie et l’Environnement (régionalisation des tarifs de distribution sauf l’électricité pour les réseaux de transport, ...) l’urbanisme, le logement et l’aménagement du territoire (les baux d’habitation, les baux commerciaux, la procédure d’expropriation, le transfert des comités d’acquisition, etc …) la Justice (la définition de la nature des mesures pouvant être prises à l’égard de mineurs ayant commis un fait d’infraction) et aussi d’autres compétences. Ainsi dans le domaine de la fonction publique, la Région (tout comme les autres entités fédérées) se voit attribuer pleine compétence pour fixer le statut administratif et pécuniaire de son personnel, l’arrêté royal fixant les principes généraux du statut communs aux diverses entités fédérale et fédérées qui servait de socle commun et de verrou protecteur pour les agents, étant prochainement abrogé. Enfin, un nouveau droit est accordé, la Région de Bruxelles-Capitale reçoit la possibilité d’organiser des consultations populaires sur les matières d’intérêt régional.
Dans le cadre de la simplification intra bruxelloise, les Bruxellois ont selon Jean-Paul Nassaux « engrangé des succès significatifs sur le plan du transfert de certaines compétences à leur Région. D’abord, en matière de sécurité, ….ensuite avancée qui apparaissait plus problématique à obtenir dans des matières communautaires : infrastructures sportives, formation professionnelle, tourisme, et d’une façon plus réduite, culture. » Cela même s’il n’est pas porté atteinte aux compétences des Communautés dans ces matières transférées. Il y a donc eu compromis entre les régionalistes et les communautaristes. Si la Région est renforcée dans ses politiques urbaines : la sécurité, les infrastructures sportives, la formation professionnelle, et le tourisme, c’est parallèlement aux Communautés et non à leur détriment.
En ce qui concerne les compétences transférées au sein de la Commission communautaire commune, il s’agit des soins de santé, de l’aide aux personnes (dont les allocations familiales et la jeunesse), et des personnes âgées. Il reste néanmoins, en matière de santé, des points à préciser concernant la régime mono-communautaire ou bicommunautaire des compétences transférées.
Notons qu’à Bruxelles, en termes d’homogénéisation de la politique hospitalière, il y aura quatre régimes hospitaliers : celui de la Communauté française pour les hôpitaux universitaires francophones, celui de la Commission communautaire française (très résiduaire) pour les autres hôpitaux francophones, celui de la Commission communautaire commune pour les hôpitaux bilingues, et celui de la Commission flamande pour les hôpitaux néerlandophones.
Jean-Paul Nassaux réussit à nouveau, le tour de force exemplaire d’expliquer en termes clairs mais de façon précise et minutieusement structurée, la nouvelle mécanique institutionnelle et ses enjeux. Cette dernière semble encore plus complexe à mettre en oeuvre que les précédents montages institutionnels et ce malgré la volonté politique de simplification intra bruxelloise.
Par ailleurs, on ne connait toujours pas au moment d’écrire ces lignes début juin 2012, l’ampleur des ressources financières et des mouvements de fonctionnaires qui accompagneront les transferts de compétence. Ainsi, faut-il parler en termes de dizaines ou de centaines d’unités transférées ?
Manifestement, l’Accord institutionnel dans ses aspects bruxellois, n’est qu’une étape intermédiaire d’un processus qui restera âprement discuté si ce n’est contesté par ceux qui souhaitent toujours que les deux grandes Communautés cogèrent Bruxelles.
Selon nous, l’Accord qui renforce la fragmentation de l’offre administrative déjà passablement dispersée, introduit la question de la performance institutionnelle future de la Région de Bruxelles-Capitale. Le foisonnement institutionnel induit par les accords, traduit certes un attachement aux valeurs démocratiques et à l’autonomie bruxelloise mais a aussi un prix. Si on n’y prend garde, il risque de faire de Bruxelles un endroit où le quotidien sera des plus complexes à vivre. Un énorme effort d’articulation des politiques publiques et de coordination des structures administratives les appliquant devra nécessairement être initié et mené à bon terme. Cela prendra nécessairement beaucoup de temps.
Alexandre Piraux