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Accueil du site - Repéré pour vous - Livres et revues - La désobéissance éthique

Ce livre soulève la délicate et passionnante question de la désobéissance au sein des services publics.

S’il est bien connu qu’en France, les agents sont obligés de désobéir et de ne pas exécuter des ordres manifestement illégaux ou irréguliers, sous peine de sanctions disciplinaires, la problématique de la désobéissance éthique se positionne en des termes différents. En effet, la désobéissance éthique donne préférence à la conscience morale individuelle par rapport à la loi. Comme on s’en souviendra, Henry David Thoreau qui refusa de s’acquitter de l’impôt afin de protester contre l’Etat qui maintenait au XIXème siècle le système de l’esclavage des noirs, est considéré aujourd’hui comme le « père » de la désobéissance civile.

L’obéissance à la loi est pourtant un bon et nécessaire principe de vie collective structurant les sociétés démocratiques. Dès lors, comment fonder la désobéissance, a fortiori dans le chef de fonctionnaires gardiens de l’intérêt public ?

L’ouvrage de Elisabeth Weissman qui est essayiste et journaliste, s’adosse à une enquête de terrain qui relate des témoignages impressionnants de ces fonctionnaires « désobéisseurs ». Il s’agit d’enseignants refusant de ficher leurs élèves, de forestiers freinant le marquage d’arbres trop jeunes qu’on leur demande d’abattre pour augmenter le chiffre d’affaires de l’Office national des Forêts, au détriment de la protection de l’environnement, de conseillers de Pôle Emploi ne dénonçant pas les demandeurs d’emploi sans papiers, ou des policiers qui ne procèdent pas à des interpellations injustifiées pour faire du chiffre. D’autres agents exercent leur droit de retrait en refusant de vérifier l’authenticité des papiers d’identité à l’insu du demandeur d’emploi, des postiers continuent à aider clandestinement à remplir les documents de personnes fragilisées et ce, à l’encontre des nouvelles méthodes de travail. A quelques exceptions près, le monde syndical traditionnel est, selon l’auteure, absent ou en porte-à -faux vis-à -vis de ces nouvelles pratiques alors que le rôle du « collectif » est crucial, notamment pour partager, discuter, confronter les questions liées aux valeurs et donc en fin de compte à l’éthique.

La conscience morale de chacun qui est par nature subjective et variable, ne saurait suffire à autoriser une transgression légale. Aussi les désobéisseurs justifient-ils la transgression de la norme juridique au nom d’une loi supérieure implicite ou explicite. Dans ce raisonnement, la légitimité reposant sur des valeurs l’emporte sur la légalité.

Il est un peu dommage que le livre, en forme de plaidoyer, n’opère pas de distinction graduée entre la désobéissance et la résistance, ne pose pas la question des limites à ces formes d’objection de conscience et reste cantonné dans la sphère franco-française. Regrettable aussi, le fait que certaines outrances affaiblissent la portée des témoignages courageux et transforment l’ouvrage en pamphlet anti-Sarkozy.

Néanmoins, l’originalité de la thématique et les enjeux qu’elle porte justifie, selon nous, la lecture de cette enquête.

Alexandre Piraux